Russie-Ukraine : Les conditions d’un retour à la paix. Ariel FRANCAIS

Patrice-Ariel (Ariel) Français est un haut fonctionnaire de l'ONU et essayiste à la retraite. Il vit entre Vienne (en Autriche), et Merida (au Méxique). Après une décennie au service du gouvernement  français, il a rejoint  son premier poste au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) en 1980, entamant une carrière de 25 ans au service des Nations Unies. Il a servi dans différents pays en tant que Coordonnateur résident des Nations Unies. Ariel est membre du Think Tank I-Dialogos.

Le conflit en Ukraine  découle de problèmes  existentiels pour les deux principaux protagonistes.   

Des questions existentielles qui se chevauchent au départ 

La guerre en Ukraine est d'abord une réponse à ce que la Russie considère comme une menace existentielle à son encontre , face à l'expansion continue de l'OTAN à ses frontières. La soi-disant « dénazification » de l'Ukraine reste un écran de fumée sans véritable substance destinée à justifier l'opération militaire spéciale contre son voisin et  à contrer les menaces engendrées par l'« occidentalisation » culturelle et politique de l’Ukraine  et l’ interventionisme croissant  de l'OTAN et l'UE. 

Pour l'Ukraine, en revanche, l'invasion russe a été vécue comme une double agression : agression contre la volonté de la grande majorité de sa population de se rapprocher du monde occidental (et de s'intégrer dans l'Union européenne à cet effet) et agression contre sa volonté de défendre un territoire issu de la partition de l'ex-URSS et universellement reconnu comme souverain par la communauté internationale (quitte à ignorer la aspirations autonomistes d'une partie de sa population russophone). 

La résistance ukrainienne à l'agression russe s'est avérée exceptionnelle, aidée il est vrai par les pays dits « occidentaux ». 

Ces derniers ont à ce jour mobilisé 267 milliards d'euros pour l'aide militaire, financière et humanitaire à l'Ukraine (dont 135 milliards par l'Union européenne et ses États membres et 114 milliards par les États-Unis) , sans épargner de façon croissante toutes sortes de sanctions à l'encontre de la Russie – sanctions économiques, commerciales, financières et technologiques en particulier.   

Où en sommes-nous aujourd'hui ? 

Trois ans après le début de cette guerre au cœur de l'Europe, aucune offensive décisive n'a pu s'imposer de part et d'autre, au prix désastreux d'un million et demi de morts et de blessés sur les champs de bataille, selon les estimations les plus récentes. 

Dans le même temps, le soutien occidental à l'Ukraine s'est transformé en un test existentiel – et, espérons-le, une nette avancée  pour la sécurité et la défense de l'Europe , malmenée par le déclin de l'engagement des États-Unis envers leurs alliés et par  leur désintéret pour tout ce qui se trouve au-delà de leurs  frontières.   

Les conditions d'un retour à la paix 

A ce stade, la question se pose de savoir s'il est concevable et possible de rétablir  la paix en Europe et de mettre sur pied une coopération prometteuse entre toutes les parties présentes sur le continent européen, ce qui suppose à mon sens trois conditions : 

1. Qu'un processus de paix viable et durable puisse  être initié et conclu entre la Russie et l'Ukraine ; 

2. Que les Européens ne dépendent plus des États-Unis pour assurer leur propre défense ; 

3. Que la coopération entre la Russie et l'Union européenne soit relancée sur des bases saines et durables. 

La première condition, et la plus urgente, est fondamentale pour apporter la paix et la sécurité en Europe, à un moment où l'évolution géopolitique mondiale l'a rendue  plus que jamais nécessaire. Cependant, aucun accord viable ne serait  concevable si les parties s'en tiennent à leurs exigences et refusent de faire des compromis. 

Pour la Russie, de mon point de vue, il s'agirait de reconnaître le droit souverain de l'Ukraine à entrer dans l'Union européenne, sans restriction d'aucune sorte, y compris en matière de défense (accès, notamment, à la clause de défense mutuelle de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne). 

Cela consisterait également en un engagement formel de la Russie à ne pas intervenir en Ukraine sous quelque forme que ce soit – militaire, politique ou autre. 

Enfin, il s'agirait de reconnaître le droit des populations du Donbass à décider souverainement de leur propre sort : appartenir à l'Ukraine pour les unes ou rejoindre la Russie pour les autres, selon des vœux exprimés dans le cadre de référendums, encadrés par l'ONU avec l'appui de l'OSCE, dans les quatre oblasts du Donbass. 

En outre, des réparations seraient exigées de la Russie pour reconstruire les infrastructures détruites et indemniser les victimes de la guerre. Ces réparations seraient garanties par la saisie des avoirs russes gelés à la suite de l'invasion de l'Ukraine. 

En ce qui concerne l'Ukraine, les compromis consisteraient d'abord en une renonciation définitive d’adhérer à l'OTAN, le pays  s'engageant plutôt à adopter un statut de neutralité, comme l'Autriche par exemple, sans préjudice de la clause de défense commune du traité de l'Union européenne. Ils consisteraient également en la reconnaissance d'un rattachement  définitif de la Crimée à la Russie, reconnaissance  selon toute probabilité non négociable pour la Russie. 

Il en serait probablement de même pour la reconnaissance des deux Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk, rattachées à la Russie, sous réserve d'un référendum de ratification par les populations concernées dans les deux républiques autonomes. 

Enfin, ils pourraient consister – plus pour la galerie que sur le fond – en un engagement pour l'Ukraine d'interdire toute organisation d'extrême droite à l'avenir, un engagement de nature constitutionnelle, comme dans le cas de l'Allemagne. 

Cependant, pour qu'un tel accord puisse voir le jour, le rôle central de l'Union européenne  et des capitales de l’Europe de l’Ouest – en tant que parties prenantes au conflit, tant sur le plan matériel que politique – ne saurait être sous-estimé. 

Renouer le dialogue avec Moscou

C'est précisément pour cette raison qu'il serait  impératif que les capitales européennes  renouent le dialogue avec Moscou, arretant une position commune face à Poutine, même si ce dernier persiste à faire la sourde oreille à leurs appels. Après tout, tôt ou tard, la Russie devra bien se rendre compte que rien ne saurait être réglé sans le concours  de l'Europe occidentale.   

Deux exigences 

Sur le fond, une paix durable entre l'Ukraine et la Russie exigerait des compromis de part et d’autre qui scellent la souveraineté de l’Ukraine et garantissent sa sécurité, tout en répondant aux exigences de la Russie en matière de  sécurité et de reconnaissance des réalités géopolitiques et territoriales qui découlent de son histoire. 

En fin de compte, un engagement renouvelé et unifié de l'UE avec la Russie serait essentiel pour garantir une stabilité et une coopération durables sur l'ensemble du continent. 

A.F. 08 2025

Cet article s'appuie sur l'article récemment publié par le même auteur intitulé « La sécurité européenne à l'ère de Trump et de Poutine », un document de réflexion sur la paix, FOGGS Papers, et I-Dialogos. juin 2025. 

https://www.i-dialogos.com/analyses/la-s%C3%A9curit%C3%A9-europ%C3%A9enne-%C3%A0-l-heure-de-trump-et-de-poutine-ariel-francais

https://katoikos.world/analysis/russia-ukraine-conditions-for-a-return-to-peace.html