
Abdoulahi ATTAYOUB est le président de l’Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe (ODTE) / Tanat. Il est aussi Consultant en relations internationales (Sahel) et membre du think tank I-Dialogos.
Le neuvième Congrès panafricain, qui s’ouvre cette semaine à Lomé, s’annonce comme un test décisif pour un panafricanisme en quête de pertinence. Dans un contexte mondial en recomposition, il devra montrer s’il peut encore canaliser l’énergie d’une jeunesse africaine exigeant une place plus claire, plus forte et plus stratégique pour le continent sur la scène internationale.
Depuis quelques années, un nouveau courant se réclamant du panafricanisme gagne en visibilité. Porté par des voix radicales, il s’illustre par une rhétorique simplificatrice où les défis complexes du continent sont ramenés à une opposition binaire entre le « Noir » et le « Blanc ». Cette vision essentialiste, qui prétend défendre l’Afrique, finit paradoxalement par l’enfermer dans une lecture réductrice et parfois ouvertement raciale du monde.
En érigeant l’expression « continent noir » en vérité absolue, ces militants révèlent les limites de leur projet politique. Ils gomment une partie essentielle de l’histoire africaine et ignorent des figures emblématiques, de Massinissa à Jugurtha, jusqu’à Saint Augustin, dont l’africanité dérange la construction idéologique qu’ils cherchent à imposer.
Leur discours homogénéisant travestit la complexité d’un continent qui fut, et demeure, un carrefour civilisationnel fondamental pour l’humanité.
Plus inquiétant encore : certains régimes africains semblent séduits par ces discours radicaux. Pensant y trouver une légitimation politique ou un ressort mobilisateur, ils accordent une influence démesurée à des idéologues dont les postures frôlent l’imposture.
Un vide idéologique ?
En réalité, cette complaisance trahit un vide idéologique et l’absence de perspectives structurantes à offrir aux populations. Elle risque surtout d’entraver l’ambition affichée d’ouverture au monde et de participation constructive au concert des nations.
Ces entrepreneurs identitaires exploitent habilement les frustrations d’une partie de la jeunesse africaine, partagée entre un sentiment d’injustice historique et les difficultés à trouver leur place dans un environnement mondialisé. Mais leur offre politique, fondée sur la rancœur et la racialisation systématique des rapports humains, n’apporte aucune réponse aux défis concrets : gouvernance, éducation, sécurité, inclusion économique, justice sociale.
Au Burkina Faso, le recours opportuniste à la figure de Thomas Sankara illustre cette instrumentalisation mémorielle.
Au Mali, la mise en avant des tensions autour de l’Azawad ou du Macina révèle une volonté d’exacerber les fractures plutôt que de chercher des solutions durables.
Au Niger, enfin, ces marchands d’illusions se heurtent au rejet d’une partie de la jeunesse qui refuse d’être enfermée dans un discours racialisant, éloigné de ses aspirations quotidiennes.
Des aspirations souverainistes qui sont légitimes
Pourtant, les aspirations souverainistes portées aujourd’hui par de nombreux Africains sont légitimes. La volonté de rompre avec un ordre international inéquitable, qui a longtemps entravé le potentiel de la jeunesse du continent, mérite d’être entendue.
Mais cette quête ne peut porter ses fruits sans une introspection lucide : l’Afrique doit aussi affronter ses propres contradictions, ses blocages internes, ses fragilités institutionnelles. Ce sont précisément ces failles que certains acteurs extérieurs continuent d’exploiter pour maintenir des relations asymétriques auxquelles ils sont pourtant censés mettre un terme.
Aux peuples africains de construire un nouveau regard
Il appartient désormais aux peuples africains de construire un nouveau regard sur eux-mêmes et sur le monde, un regard endogène, pragmatique et décomplexé.
L’héritage colonial doit être analysé sans complaisance, mais il ne saurait servir d’alibi à une pensée qui refuse la nuance et fige l’Afrique dans un rôle de victime éternelle.
Comprendre les ressorts historiques de la domination est indispensable ; s’y enfermer, dangereux.
Le panafricanisme, s’il veut retrouver sa force émancipatrice, doit renouer avec ses fondements : l’unité, la justice, l’ouverture, la créativité politique.
Certainement pas avec l’essentialisme racial qui en trahit l’esprit.
Abdoulahi ATTAYOUB
08 décembre 2025
