Interview exclusive du Dr Denis MUKWEGE, Prix Nobel de la Paix / Intervista esclusiva al Dott. Denis MUKWEGE, Premio Nobel per la Pace

Suite au Forum organisé le mois dernier par le Ministère français des Affaires étrangères et la Fabrique de la Diplomatie, dans les locaux de la Sorbonne à Paris, le Dr Denis MUKWEGE, Prix Nobel de la Paix 2018, nous a accordé une interview exclusive, et nous l'en remercions chaleureusement. Ses propos témoignent, avec courage et une grande précision, de la situation dramatique que traverse la République Démocratique du Congo, en particulier dans la région du Kivu, et mettent en lumière l'origine et les responsabilités...

Propos recueillis par Tina Mwangelu et Pierrick Hamon (I-Dialogos International.), Jean-Claude Mairal (I-D. et Planète Jeunes Reporters – Sur les pas d’Albert Londres., Vichy) et Giussepe Giliberti (LAB Politiche e Culture, Bologne, Italie).


- I-DIALOGOS : Le 2 juillet 2025, le Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC publiait un rapport, relayé par Le Soir évoquant carrément une « logique d’annexion » de certaines zones de l’Est par le Rwanda. Et pourtant, du côté de l’Union africaine… silence radio. Comment expliquez-vous ce silence ?

- Dr Denis MUKWEGE : D’abord, je voudrai dire avec beaucoup d’amertume que les analyses du Groupe d’experts rapportant au Conseil de Sécurité des Nations Unies sont justes et sont d’ailleurs corroborées par de nombreuses sources : la RDC fait face à une crise existentielle sans précédent, et cette crise est multiforme – politique, sociale, économique, humanitaire, des droits humains –  c’est dans ce contexte de fragilité de la Nation, mais aussi de crise du multilatéralisme et de défiance au droit international, que la recrudescence du groupe armé rebelle M23, satellite du Rwanda en RDC, s’est manifestée dès novembre 2021. 

L’absence de réactions, ou l’adoption de mesures timides, face à des violations flagrantes de la Charte des Nations Unies et de l’Union Africaine, a créé un contexte favorable au pourrissement de la situation, et le Rwanda a profité du début du 2e mandat de Trump pour intensifier les hostilités fin janvier 2025, en occupant d’abord Goma puis Bukavu, et de larges pans du territoire du Nord et du Sud Kivu, riches en matières premières stratégiques. 

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Le silence de l’Union africaine est décevant, mais n’est pas de nature à étonner les observateurs avertis, car il s’agit bien plus d’une union de chefs d’État qui se protègent mutuellement que d’une union au service des peuples, notamment des populations qui souffrent. Nous devons néanmoins saluer les efforts déployés par la diplomatie angolaise sous l’égide du Président Lourenço, mais la mauvaise foi des parties a fait en sorte que les efforts entrepris dans le cadre du processus de Luanda sont tombés dans l’impasse. 

Ce contexte a permis au M23 et à son bras politique l’Alliance Fleuve Congo (AFC) d’installer des administrations illégitimes parallèles dans les zones occupées, qui s’étendent chaque jour. De nombreuses prérogatives régaliennes sont désormais assumées par les forces d’occupation, qui ont nommé des gouverneurs, des maires, des magistrats et des juges, des policiers ou encore des services de perception d’impôts qui tracassent et extorquent la population qui survit dans la peur et la pauvreté. Soulignons que même de nouveaux chefs coutumiers ont été nommés par la coalition M23/AFC, ce qui a vocation à alimenter des troubles à plus long terme, comme l’a montré les violences nées des tensions entre chefs traditionnels et le pouvoir central lors de l’ affaire Kamwina Nsapu au Kasai en 2016/2017. 

Nous pouvons donc confirmer les craintes émises par les Nations Unies : l’occupation prend le visage d’une annexion par les rebelles qui mènent une stratégie de terreur, de fait accompli et de talk&fight dans le cadre du processus de Washington et de Doha, qui n’ont pas encore abouti à une début de commencement d’exécution, malgré la signature de l’Accord de paix facilité par le département d’état américain entre la RDC et le Rwanda le 27 juin et d’une Déclaration de principes entre la RDC et le M23/AFC le 17 juillet sous l’impulsion du Quatar. 

Nous exhortons donc la diplomatie internationale à mobiliser la volonté politique nécessaire pour mettre en œuvre sans plus tarder la résolution 2773 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, adoptée le 21 février 2025. Cette résolution adoptée à l’unanimité est une source de droit international opposable à tous les États et appelle à un cessez le feu immédiat, au retrait inconditionnel de l’armée rwandaise du territoire congolais et au démantèlement immédiat des administrations parallèles illégitimes au Nord et au Sud Kivu mises en place par les forces d’occupation. Des sanctions fortes et coordonnées devraient être adoptées contre le Rwanda pour sa défiance face à la Charte des Nations unies et aux principes de base  du droit international.

- I-DIALOGOS : Quels sont, selon vous, les vrais enjeux géopolitiques derrière cette crise que beaucoup ne voient pas? 

-Dr Denis MUKWEGE : Le pillage des minerais et les trafics mafieux autours de ces ressources stratégiques sont un élément récurrent de la déstabilisation et de la stratégie du chaos organisé à l’Est du Congo et illustrent le caractère principalement économique de la guerre. 

En effet, la prédation pour les ressources minières congolaises est une cause profonde des conflits à répétition et de la commission de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire depuis plus de 30 ans – et même 150 ans si l’on remonte au régime de Léopold II. 

Alors que la révolution numérique et la transition énergétique sont en pleine expansion, la pression pour le contrôle et le commerce de ces minerais est grandissante et devient un enjeu géopolitique de premier plan entre les grandes puissances. Nous déplorons que le reste du monde continue de voir la RDC comme une bijouterie à ciel ouvert avec une logique extractiviste néocoloniale qui ne s’embarrasse pas de protéger les droits fondamentaux de la population locale, qui ne touche aucun dividende des progrès et des profits des nouveaux maitres du monde, à savoir les Chinois et les Américains.   

La logique transactionnelle qui régit l’Accord de Paix de paix signé à Washington en juin dernier suite à des négociations opaques et non inclusives montrent que le département d’état veut contrebalancer l’actuelle position dominante des Chinois dans le secteur minier congolais mais la diplomatie américaine ne peut tourner le dos aux millions de victimes de 30 ans de guerre pour accéder aux mines en RDC. En outre, cet accord ne peut entériner une capitulation déguisée de la RDC suite à une agression du Rwanda et blanchir le pillage systémique des richesses congolaises en coopération économique avec le Rwanda par lequel les minerais extraits en RDC devraient transiter pour y être traités, raffinés et exportés vers les Etats-Unis. 

Ainsi, cette convoitise pour les minerais congolais démontre que les enjeux de la guerre en RDC ont une dimension globale et nous appelons à l’organisation d’une conférence internationale avec tous les acteurs impliqués, y compris ceux du secteur privé, pour chercher à sortir durablement de la crise et transformer les minerais des conflits en ressources pour le développement et la paix.

Justice internationale et mémoire des crimes

- I-DIALOGOS : En octobre 2010, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU publiait le Rapport Mapping (ONU). 617 incidents graves y sont documentés, commis entre 1993 et 2003 — certains pouvant relever de crimes de génocide. Quinze ans plus tard, ce rapport reste dans un tiroir.  Qu’est-ce qui bloque ? 

- Dr Denis MUKWEGE : Les pays tiers agresseurs, à commencer par le régime de Kigali qui avait d’ailleurs exercé d’énormes pressions sur les Nations Unies avant la publication du rapport Mapping ; le manque de volonté politique de la communauté internationale dont la politique de double standard sape sa crédibilité pour mettre fin aux injustices du monde ; le déficit de volonté politique des régimes successifs au pouvoir à Kinshasa, qui est intimement lié au fait que divers accords de paix ont permis des amnisties, entériné la promotion de seigneurs de guerre dans les gouvernements successifs, et favorisé l’intégration d’éléments des groupes armés dans les forces de défense et de sécurité et même dans les services de renseignements. 

Ces différentes sources de blocages font en sorte que la culture de l’impunité s’est enracinée en RDC et est devenue une cause profonde de l’instabilité. En effet, l’impunité alimente en grande partie la répétition des atrocités de masse dans le cadre d’agressions récidivistes des pays voisins, à l’instar de l’actuelle guerre d’agression et d’occupation de l’armée rwandaise qui soutient directement et indirectement les opérations du M23 dans les Kivus. 

Lire la Résolution

l y a urgence à briser le cycle de la violence et de l’impunité, et nous regrettons que l’accord de paix signé entre la RDC et le Rwanda à Washington en juin dernier ne fasse aucune mention de l’impératif de rendre justice aux victimes et de sanctionner les auteurs et les responsables hiérarchiques de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, pourtant largement documentés par les Nations Unies et de nombreuses organisations de la société civile spécialisées dans les droits humains. Nous rappelons aux médiateurs de la crise, tant à Washington qu’à Doha, que la justice pour les crimes internationaux imprescriptibles commis en RDC est non négociable. 

- I-DIALOGOS :  Peut-on se réconcilier sans vérité ni réparation ? 

- Dr Denis MUKWEGE : Le rapport Mapping recommande le recours à tous les mécanismes de la justice transitionnelle, judiciaires et non judiciaires. Telle est la raison pour laquelle nous avons publié il y a déjà 4 ans une note de plaidoyer pour l’adoption d’une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle en RDC. 

Pour parvenir à une réconciliation en RDC et dans la région des Grands Lacs africains, nous préconisons un séquençage logique : d’abord dire la vérité, rendre la justice, octroyer des réparations et mettre en place des garanties de non répétition, puis le temps de la réconciliation et de la coexistence pacifique viendra. Je rappelle que ce sont surtout les politiciens qui sont responsables de la misère de nos peuples. A titre d’exemple, la population congolaise n’a jamais eu de problème avec le peuple rwandais, avec qui nous commerçons depuis toujours dans la région des Kivus. 

Il est impératif de briser le cycle infernal de la violence et de l’impunité et de rendre la justice pour les millions de victimes congolaises. A l’instar de tous les peuples, les Congolais ont droit à la justice, à la vérité, à des réparations et à des garanties de non-répétition des atrocités. 

La stratégie nationale holistique pour laquelle nous plaidons devra aussi tenir compte de la forte implication des pays tiers dans les conflits armés : la dimension internationale ou internationalisée des conflits doit entrainer une réponse internationale ou internationalisée de la justice. Ainsi, nous plaidons pour la mise en place d’un Tribunal International pour le Congo et de Chambres spécialisées mixtes. 

Malgré un processus de consultation populaire sur la justice transitionnelle sous l’impulsion du ministre des Droits humains en 2022 et la mise en place d’un Comité scientifique chargé de l’élaboration du projet de politique nationale en RDC, cette politique n’a toujours pas été adoptée et seule une mention cosmétique à la justice transitionnelle figure dans le  Programme d’actions du gouvernement pour 2024-2028, ce qui illustre le manque de volonté politique du gouvernement pour enrayer la culture de l’impunité. 

A ce jour, seul un mécanisme non-judiciaire, le Fonds national de réparation des victimes de violences sexuelles et des crimes de guerre (FONAREV) créé en 2022, a été mis en place mais n’est pas encore opérationnel et effectif, ce qui entraine beaucoup de déception dans le chef des victimes et des communautés martyres. En outre, des allégations accablantes de corruption et de détournement de fonds visent déjà cette institution qui risque de devenir une source additionnelle de mépris pour les victimes congolaises et la mémoire de millions de morts si ces allégations s’avèrent fondées.  

- I-DIALOGOS :  La CPI a-t-elle manqué à son devoir ? 

- Dr Denis MUKWEGE : La situation de la RDC est à l’agenda de la Cour pénale internationale (CPI) depuis 2004. Les enquêtes du Bureau du Procureur ont débouché sur des poursuites à l’encontre de six suspects, tous d’anciens chefs de milices pour des faits commis en Ituri entre 2002 et 2003 - et quatre procès ont conduit à des jugements. Trois ont été reconnus coupables et un a été acquitté. Aucun crime commis dans les Kivus n’a reçu une réponse de la justice pénale internationale et aucun haut responsable politique ou militaire, congolais ou étrangers, n’a été poursuivi ou jugé, ce qui est regrettable car la CPI devrait se concentrer sur les cas les plus graves commis par les commanditaires.  

Nous exhortons la CPI à enquêter et poursuivre les responsabilités par le biais de la théorie du commandement dans le chef des gouvernements et des hiérarchies militaires des pays agresseurs. Le bureau du Procureur de la CPI a « réactivé » les enquêtes en RDC, et devra se concentrer sur les crimes commis dans les Kivus et viser les plus hauts responsables, congolais ou étrangers. 

- I-DIALOGOS :  La diaspora congolaise peut-elle jouer un rôle concret pour que ce rapport ne soit pas définitivement enterré? 

- Dr Denis MUKWEGE : Oui, la diaspora peut et doit jouer un rôle d’éveil des consciences et de catalyseur du changement dans les pays qui disposent de leviers importants sur les divers protagonistes des conflits, mais il faut aussi galvaniser la volonté politique en RDC.

Panzi : urgences et héritage

- I-DIALOGOS : À Panzi, vous êtes en première ligne. Les urgences ne manquent pas : blessures de guerre, traumatismes, soins aux femmes victimes de violences sexuelles. Et en parallèle, vous formez de jeunes médecins et infirmiers. Quelles sont vos priorités immédiates ? 

- Dr Denis MUKWEGE : Nos priorités immédiates sont de sauver des vies et de soulager la souffrance des survivant(e)s de violences sexuelles, des blessés de guerre et des personnes déplacées. Malgré l’occupation rebelle et l’insécurité persistante, l’Hôpital et la Fondation Panzi ont maintenu leurs portes ouvertes et continuent de fournir des soins holistiques chaque jour. Les besoins humanitaires sont plus importants que jamais : 27 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire, plus de 7 millions sont déplacées, et les violences sexuelles ont augmenté de plus de 40 % par rapport à l’année dernière. 

Face à la réduction catastrophique des financements humanitaires mondiaux et à la pression économique énorme sur l’Est de la RDC, nous devons redoubler d’efforts pour assurer que chaque patient reçoive des soins, quelle que soit sa capacité de payer. Notre hôpital accueille un nombre croissant de patient(e)s en situation de crise grave : blessés par balle, par éclats d’obus, ou survivantes référées de toute la province. Nous continuons néanmoins à intervenir dans les zones les plus isolées grâce à nos centres de soins intégrés ruraux et à nos cliniques mobiles. 

- I-DIALOGOS :  Au-delà du soin, quel message souhaitez-vous transmettre à cette nouvelle génération ? 

- Dr Denis MUKWEGE : Nous voulons transmettre aux jeunes médecins, infirmiers et étudiants que la médecine et le plaidoyer sont indissociables. Soigner, c’est restaurer la dignité, rendre espoir et contribuer à la paix. Mais c’est aussi s’engager dans la prévention et la défense des droits fondamentaux.

C’est dans ce sens que nous avons soutenu, à l’Université Évangélique en Afrique, le lancement du premier club étudiant dédié au droit à la santé sexuelle et reproductive dans le Sud-Kivu. Cette initiative vise à briser les tabous socio-culturels, sensibilise les jeunes, et forme une nouvelle génération d’ambassadeurs des droits et de la santé. Elle montre à quel point l’éducation, le dialogue et le plaidoyer sont essentiels pour bâtir une société plus juste et égalitaire. 

Ce que nous voyons à l’Est du Congo résonne dans le monde entier : le corps des femmes continue d’être utilisé comme champ de bataille dans les conflits. Le combat pour leur rétablissement et leurs droits n’est pas seulement congolais : il est universel. 

- I-DIALOGOS :  Quels projets sont déjà en préparation pour étendre votre action ? 

- Dr Denis MUKWEGE : Nous poursuivons plusieurs projets pour renforcer et élargir notre mission. Sur le plan international, notre modèle holistique est devenu une référence mondiale : il a déjà été adapté grace aux efforts de la Fondation Mukwege en République Centrafricaine, en Irak, en Ukraine et sera bientôt mis en place au Burundi. En Colombie, l’« Hôpital de la Paix » en construction à Cumaral est directement inspiré de Panzi. 

https://panzifoundation.org/fr/.

En RDC, nous venons de lancer, avec HEAL Africa et Sofepadi, un engagement conjoint dans le cadre de la Clinton Global Initiative (CGI) 2025 pour renforcer un réseau coordonné de soins holistiques dans le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et l’Ituri, afin de prendre en charge 50 000 survivant(e)s sur quatre ans. 

Notre appel à l’action est clair : protéger Panzi, c’est protéger l’avenir de la prise en charge des survivant(e)s partout dans le monde. Dans un contexte où l’aide humanitaire mondiale se réduit, nous invitons nos partenaires et alliés à continuer de donner la priorité aux communautés congolaises. Grâce à une solidarité renouvelée et à l’engagement de la jeunesse, nous pouvons maintenir ce modèle unique et efficace pour guérir les blessures de la guerre.

Jeunesse et avenir du Congo

- I-DIALOGOS : Vous avez souvent dit que l’avenir du Congo dépend de sa jeunesse. Pourtant, beaucoup de jeunes n’envisagent leur futur qu’en quittant le pays. Que pouvez-vous leur dire aujourd’hui pour qu’ils gardent espoir ? 

- Dr Denis MUKWEGE : La jeunesse est en effet l’avenir du Congo. Sa créativité et sa soif de changement sont porteuses d’espoir de lendemains meilleurs. Après plusieurs générations sacrifiées, nous ne pouvons continuer à accepter l’inacceptable sans réagir. 

Les jeunes doivent prendre conscience qu’ils ont des droits, et qu’il faut les exercer, mais ce constat est délicat dans un pays où même la police est une menace pour la population, où la justice est instrumentalisée par le pouvoir. Le déni des droits humains et de la démocratie a considérablement rétrécit l’espace des libertés civiques et dans les zones occupées, la société civile est clairement ciblées, ce qui a tendance à engendrer une forme d’auto-censure.  

J’ai envie de dire aux jeunes que dans l’histoire, toutes les dictatures et toutes les guerres se sont un jour terminées. Quand je vois les mobilisations de la génération Z en Indonésie, au Népal, au Maroc ou encore à Madagascar, je pense qu’un jour le changement arrivera aussi en RDC, et il passera par les femmes et les jeunes.

- I-DIALOGOS :  Pourquoi, malgré toutes ses richesses et son potentiel humain, la RDC n’arrive-t-elle pas à mettre fin aux ingérences et aux violences ? 

- Dr Denis MUKWEGE : Outre les ingérences étrangères et les convoitises internationales pour satisfaire les besoins de l’économie globale, la population est prise en otage par un régime prédateur et répressif, qui est complice des acteurs du pillage de notre pays et donc co-responsable de la tragédie que traverse sa population. Telle est la raison pour laquelle même ceux qui veulent faire évoluer positivement la situation en RDC sont confrontés à un problème de taille : celui de traiter avec des responsables congolais légitimes, crédibles et sérieux. Cette dimension interne de la crise est à la base de l’initiative du Pacte social pour la paix des Églises catholiques et protestantes, et leurs propositions font aussi partie de l’équation pour sortir de la crise. 

Mobilisation citoyenne

- I-DIALOGOS : En dehors des chancelleries, la société civile tente aussi d’agir. Des réseaux comme I-Dialogos, LAB Politice e Culture ou l’association « Je suis RDC » se mobilisent pour comprendre et alerter. Peuvent-ils, selon vous, réellement peser sur l’opinion mondiale et provoquer un sursaut ? 

- Dr Denis MUKWEGE : Je salue toutes les initiatives citoyennes, en RDC et partout à travers le monde. Il ne s’agit pas seulement d’une crise au cœur de l’Afrique. C'est un problème mondial ! Nous avons tous un smartphone, un ordinateur portable, une voiture ou un vélo électrique. Nous avons tous un morceau du Congo dans notre poche ou chez nous ! Nous sommes tous concernés et nous pouvons tous faire la différence ! Utilisez votre smartphone et votre ordinateur pour dénoncer l’impunité des crimes les plus graves et le pillage des minerais stratégiques congolais. Il est temps de mettre fin à la tragédie congolaise et de lancer une mobilisation internationale pour mettre fin aux souffrances du peuple congolais. 

En outre, le non-respect de la légalité internationale et des droits humains ne peut mener qu’à un désordre global préjudiciable pour chaque Nations et les libertés fondamentales partout. Lutter contre les doubles standards vis-à-vis de la tragédie congolaise, c’est aussi agir pour que cela n’arrive pas plus près de chez vous. Chacun est un catalyseur de changement et un acteur pour la paix. Ensemble, nous pouvons mettre fin à la guerre en RDC et tourner l’une des pages les plus sombres de l’histoire de l’Afrique et de l’humanité. 

-I-DIALOGOS : Docteur, si vous aviez une seule phrase à adresser aujourd’hui à la communauté internationale, quelle serait-elle ? 

- Dr Denis MUKWEGE : Il faut arrêter de penser que la crise en RDC est une guerre civile. Le pays est avant tout victime d’agressions récidivistes motivées pour des intérêts économiques pour des enjeux globaux, donc la solution doit aussi être internationale et intégrer les acteurs du secteur privé.

Paris, le 14.10.2025