
Abdoulahi ATTAYOUB est le président de l’Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe (ODTE) / Tanat. Il est aussi Consultant en relations internationales (Sahel) et membre du think tank I-Dialogos.
La tentative de coup d’État récemment déjouée au Bénin rappelle, une fois encore, la fragilité institutionnelle qui traverse une large partie de l’Afrique de l’Ouest. Les dérives autocratiques, fréquemment légitimées par des rhétoriques pseudo-démocratiques, ont progressivement érodé les espoirs suscités par les conférences nationales du début des années 1990. Pourtant, une aspiration au changement demeure vivace, nourrie par l’attente d’une vie politique enfin ordonnée autour de l’intérêt général, et par la volonté de voir disparaître la prédation érigée en mode de gouvernance, quelle que soit la nature du régime en place.
L’Afrique sahélienne en turbulences institutionnelles
L’Afrique sahélienne traverse une phase de turbulences institutionnelles d’une ampleur sans précédent, qui exige des grilles de lecture autrement plus fines que les interprétations médiatiques souvent simplificatrices. La récurrence des coups d’État, fréquemment légitimés par des discours idéologiques conjoncturels, révèle l’incapacité structurelle de certains États à édifier un socle national suffisamment robuste pour soutenir une trajectoire de développement cohérente et inclusive. Les expériences qualifiées de démocratiques alimentent, à cet égard, une désillusion persistante : ni leur aptitude à construire des institutions républicaines à la hauteur des attentes citoyennes, ni leur capacité à se distinguer de manière tangible d’autres modes de gouvernance, notamment militaires, n’ont jusqu’à présent réussi à s’imposer durablement.
Un « ordre constitutionnel » et une "démocratie" qui tardent à faire leur preuve
Dans ce contexte, aucune différence véritablement probante ne permet de disqualifier systématiquement les régimes militaires au regard des résultats produits, ces dernières années, par plusieurs gouvernements civils de la région. Coup d’État militaire ou confiscation civile de la souveraineté populaire : pour une large partie des citoyens, les effets apparaissent largement interchangeables. Les mêmes logiques prédatrices, la même impuissance de l’action publique et la persistance d’un horizon politique sans issue continuent de prévaloir, nourries par une corruption endémique et un affairisme politique omniprésent. Ceux qui plaident, sans nuance, pour un retour strict à un « ordre constitutionnel » déjà éprouvé tendent à occulter le fait que cet ordre a rarement démontré sa capacité à satisfaire les aspirations fondamentales des populations : liberté, dignité et accès à des conditions de vie décentes.
Les régimes renversés ne peuvent, bien souvent, se prévaloir d’autre légitimité que de leur caractère civil. Il est pourtant fréquemment suggéré, de manière implicite, que cette seule qualité suffirait à les ériger en démocraties authentiques, appelant de ce fait une protection quasi automatique de la part des puissances dites démocratiques et de la Communauté internationale dans son ensemble.
Cette confusion a durablement nourri l’attitude ambivalente de certains acteurs internationaux, en particulier occidentaux, dont l’hypocrisie perçue semble aujourd’hui avoir atteint un seuil de saturation. Le rejet croissant de la France et plus largement de l’Occident, par une certaine opinion sensible au discours populiste inspiré par d’autres acteurs, s’inscrit ainsi dans le désenchantement d’une jeunesse africaine qui avait pourtant placé de grands espoirs dans l’avènement d’une relation profondément renouvelée avec l’ancien monde colonial.
Une quête souvent chaotique d’un modèle de gouvernance ?
La crise politique actuelle en Afrique de l’Ouest traduit avant tout un profond tâtonnement, né de l’absence de repères stabilisés et d’une quête souvent chaotique d’un modèle de gouvernance en phase avec les réalités sociopolitiques locales. Les pays du Sahel central apparaissent, à cet égard, particulièrement vulnérables, pris dans un enchevêtrement d’incertitudes et de recompositions inachevées.
Les transitions et promesses de refondation se heurtent désormais aux effets, pourtant largement prévisibles, d’un aventurisme politique mal maîtrisé, indifférent tant aux dynamiques internes qu’aux contraintes géopolitiques globales. Sous la double pression des revendications sociopolitiques endogènes et de la menace jihadiste persistante, les slogans populistes largement mis en avant dévoilent progressivement leurs limites. Ce moment de désillusion impose une introspection lucide des systèmes de gouvernance nationaux, ainsi qu’une prise de conscience plus réaliste du fonctionnement du système international, structuré avant tout par des rapports de force.
La CEDEAO
Dans ce paysage instable, la CEDEAO demeure, à l’évidence, un cadre pertinent d’intégration régionale, tant sur le plan économique qu’institutionnel. Elle incarne l’émergence d’une conscience collective autour de la nécessité de mutualiser les ressources et de bâtir des mécanismes communs capables de répondre aux défis contemporains et d’améliorer durablement les conditions de vie des populations.
C’est dans cette logique qu’il convient de comprendre son rejet de toute prise de pouvoir par la force militaire. Cette position ne saurait toutefois être pleinement crédible sans la mise en place de mécanismes tout aussi rigoureux de prévention et de sanction des élections frauduleuses, de la gabegie financière et du clientélisme systémique, qui constituent trop souvent le terreau des coups d’État.
Le déficit de cohérence politique de la CEDEAO face à ces dérives explique en grande partie la défiance qu’elle suscite auprès de nombreux citoyens. Les sanctions et interventions militaires destinées à soutenir des régimes civils gagneraient en légitimité si elles s’inscrivaient en amont dans une exigence constante, lisible et impartiale de bonne gouvernance, fondée sur le respect effectif des droits et libertés fondamentales.
La véritable marque d’une gouvernance vertueuse réside avant tout dans le respect de la volonté populaire lors du choix des dirigeants et dans la qualité du fonctionnement des institutions républicaines.
Abdoulahi ATTAYOUB
le 17 décembre 2025

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