Niger : l’urgence d’un véritable sursaut patriotique. Abdoulahi ATTAYOUB

Abdoulahi ATTAYOUB est, à Lyon, le président de l’Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe (ODTE) / Tanat. Il est aussi Consultant en relations internationales (Sahel) et membre du Réseau I-Dialogos.

Près de deux ans après sa prise de pouvoir, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) peine encore à convaincre de sa volonté réelle de rompre avec les pratiques qu’il avait pourtant dénoncées pour justifier son coup d’État. L’opacité qui entoure l’architecture du pouvoir, ainsi que les zones d’ombre persistantes autour des liens entre certains cercles dirigeants et l’ancien système, suscitent des interrogations croissantes, voire de sérieuses inquiétudes quant à la capacité du régime actuel à tenir les promesses de refondation. 

Les Nigériens attendent toujours un changement profond, tangible, qui rompe clairement avec les méthodes du passé. Pour apaiser les tensions et redonner confiance, le CNSP gagnerait à rester fidèle aux engagements pris, à ouvrir l’espace public de manière significative, et à fixer une feuille de route claire vers une sortie de crise. 

Les Assises nationales ont pourtant posé un cadre propice à une refondation sérieuse, en tirant les leçons des dérives de gouvernance qui ont freiné l’émergence d’une nation unie et respectueuse de sa diversité. Toute tentative de manipulation ou de déni des équilibres socioculturels réels du pays est vouée à l’échec, et risque de précipiter le Niger dans le chaos et la violence. Le pays a trop longtemps vécu dans le mensonge et la captation des institutions à des fins partisanes pour pouvoir continuer dans cette voie, qui serait tout simplement suicidaire. 

Ce dont le Niger a besoin aujourd’hui, c’est d’une introspection profonde, d’une redéfinition de son identité nationale et de la construction d’un socle commun fondé sur un pacte inclusif. Ce pacte doit reconnaître sans complaisance, mais sans exclusion, la diversité socioculturelle du pays. Le principal danger pour le Niger ne vient pas seulement des menaces exogènes, aussi brutales soient-elles, mais bien davantage des injustices internes et des déséquilibres hérités de la colonisation. 

Ce sursaut patriotique nécessaire doit reposer sur les réalités du pays et sur la défense de ses intérêts propres. De larges consultations impliquant les figures morales et les autorités traditionnelles pourraient permettre d’apaiser les tensions persistantes ou naissantes dans ce contexte instable. La fuite en avant, en revanche, risquerait de précipiter le pays dans l’instabilité, voire l’ingouvernabilité. Il est urgent de sortir de la rhétorique belliqueuse et de la posture victimaire, devenues les seuls marqueurs visibles d’une refondation qui peine à se concrétiser. 

Le Niger ne peut pas calquer ses choix sur les trajectoires du Mali ou du Burkina Faso, dont les contextes diffèrent. Il doit puiser dans ses propres ressources historiques, humaines et institutionnelles pour faire face à ses défis spécifiques, notamment sur le plan sécuritaire. 

La réussite de toute stratégie de sécurité repose d’abord sur une unité nationale forte et sur la cohésion entre les forces armées et les populations locales. Aucune victoire ne sera possible sans un diagnostic sincère et rigoureux des causes réelles de l’insécurité. L’usage abusif du terme "terroriste" ne saurait dissimuler les injustices structurelles qui poussent nombre de jeunes vers les groupes jihadistes. 

Le CNSP tarde à proposer une réponse politique réaliste et crédible en accompagnement des opérations militaires, lesquelles ont montré leurs limites, au Niger comme ailleurs. Les Forces de défense et de sécurité (FDS) ne pourront pas remplir leur mission sans des moyens adéquats et sans une véritable symbiose avec les communautés. La stratégie sécuritaire doit être adaptée aux spécificités de chaque territoire. Les tensions récentes au sein de l’armée sont des signaux alarmants de fragilité, que les groupes extrémistes ne manqueront pas d’exploiter pour affaiblir davantage le moral et l’efficacité des unités engagées sur le terrain. 

Sur le plan international, le CNSP donne encore l’image d’une gouvernance hésitante, peinant à s’insérer de manière lucide et constructive dans le concert des nations. Il est temps de faire prévaloir la raison sur les slogans populistes, devenus l’unique prisme d’analyse des dynamiques mondiales. Les accusations répétées de déstabilisation à l’encontre des pays voisins ou des puissances occidentales finissent par apparaître comme des plaintes puériles, plus proches d’un réflexe de victimisation que d’une affirmation souveraine réfléchie dans un monde dominé par les rapports de force.

 L’urgence est de rétablir des relations apaisées, tout en affirmant clairement les exigences de souveraineté et en repensant les liens avec les partenaires internationaux. Car dans un monde régi de plus en plus par la loi du plus fort, le droit international peine à réguler les relations entre États. Les grands conflits actuels exposent les limites de ce droit et montrent à quel point les principes d’humanité et de justice sont trop souvent relégués au second plan face aux intérêts géostratégiques. 

La crédibilité des puissances autoproclamées gardiennes des droits humains et des valeurs démocratiques est aujourd’hui profondément mise en cause, à l’aune de leur gestion sélective et souvent cynique des conflits mondiaux.  

 Abdoulahi ATTAYOUB / Consultant Lyon (France)


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AES : le faux départ d’un projet 

qui risque de trahir ses promesses.

Par-delà les discours martiaux et les envolées souverainistes, le projet de l’Alliance des États du Sahel (AES) peine à convaincre. Son lancement précipité, dans un climat de rupture entre les régimes militaires sahéliens et la communauté internationale, continue de soulever plus de doutes que d’adhésions. Derrière l’ambition affichée de refonder l’ordre régional, se dessine de plus en plus une entreprise improvisée, tiraillée entre injonctions idéologiques, réflexes populistes et réalités locales largement ignorées.

 Présentée comme un instrument de reconquête de la souveraineté, l’AES s’est construite dans l’urgence, sans vision structurée, ni réelle concertation populaire. Ce projet, qui aurait pu porter une dynamique historique de dépassement des frontières coloniales, semble aujourd’hui fragilisé par un décalage manifeste entre son récit fondateur et les réalités sociopolitiques des pays membres. Les différences profondes entre les contextes nationaux du Mali, du Burkina Faso et du Niger, sur les plans économique, ethnique, linguistique ou institutionnel, constituent un frein majeur à la cohérence et à la durabilité de cette alliance. 

À cela s’ajoute un flou géopolitique préoccupant. L’AES donne parfois l’image d’un attelage diplomatique hésitant, dont les orientations varient au gré des humeurs, des discours virulents sur les réseaux sociaux et des exigences d’un populisme de circonstance. La parole politique, de plus en plus captée par une minorité militante très active dans les réseaux sociaux, tend à se substituer à une réflexion sérieuse sur les intérêts stratégiques à long terme. Ce vide idéologique, camouflé par une rhétorique de victimisation et d’hostilité à l’Occident, peine à masquer l’absence d’un projet réellement porté par les peuples des pays concernés. 

Pire encore, l’Alliance donne l’impression de détourner l’attention des véritables urgences. Sur le terrain, les groupes jihadistes gagnent du terrain, profitant des failles sécuritaires et de l’affaiblissement des États. La lutte antiterroriste, pilier annoncé de l’AES, est minée par le déni des réalités : les communiqués triomphalistes masquent difficilement les violences quotidiennes vécues par les populations, et largement documentées par les acteurs de la société civile et les organisations de défense des droits humains. 

Dans ce contexte, la faillite des institutions régionales traditionnelles, l’Union africaine et la CEDEAO notamment, aggrave l’isolement de la région. Leur discrédit et leur inaction laissent la voie libre à des initiatives désordonnées, qui exposent le Sahel à un déséquilibre géostratégique sans précédent. Abandonnés par une communauté internationale absorbée par d’autres foyers de crise jugés plus stratégiques, les peuples sahéliens se retrouvent livrés à eux-mêmes. 

Il n’est pas trop tard pour redonner sens au projet de l’AES. Mais cela implique de rompre avec l’improvisation, de dépasser les postures victimaires et de construire une vision ancrée dans les réalités humaines, sociales et économiques de la région. À défaut, l’AES risque de rejoindre la longue liste des initiatives africaines nées dans l’euphorie politique et mortes dans le silence des peuples.

Abdoulahi ATTAYOUB / 21 juin 2025


Lire => L’Alliance des Etats du Sahel, entre discours souverainiste et impasses politiques.