L’Alliance des Etats du Sahel, entre discours souverainiste et impasses politiques. Abdoulahi ATTAYOUB

Abdoulahi ATTAYOUB est, à Lyon, le président de l’Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe (ODTE) / Tanat. Il est aussi Consultant en relations internationales (Sahel).

L’Alliance des Etats du Sahel, entre discours souverainiste et impasses politiques

Depuis sa création, l’Alliance des États du Sahel (AES) s’est présentée comme un tournant stratégique pour les pays du Sahel central, désireux de sortir de l’ombre du néocolonialisme et d’affirmer une souveraineté souvent proclamée mais rarement concrétisée. Regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, l’AES semble née d’une volonté commune des juntes au pouvoir dans ces pays de se doter d’un cadre d’action autonome, en marge des injonctions de la communauté internationale. Si cette initiative est perçue par certains comme un sursaut de dignité face à un ordre international jugé déséquilibré, elle est aussi, pour d'autres, le reflet d'une alliance de circonstances, principalement destinée à offrir un rempart aux régimes militaires en place, dans un contexte sous-régional marqué par la pression diplomatique, notamment de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Il convient ici de noter que cette construction politique s’est accompagnée d’un discours fortement critique à l’égard de la démocratie libérale, présentée comme le vecteur d’une influence occidentale jugée intrusive et prédatrice. 

Dans cette rhétorique, les puissances étrangères et les pays voisins apparaissent souvent comme des menaces exogènes, justifiant ainsi le durcissement du pouvoir et la centralisation de l’autorité. Ce tournant idéologique, qui emprunte volontiers aux ressorts du populisme, vise autant à consolider le pouvoir en place qu’à détourner l’attention des urgences sociales : éducation, santé, justice, et cohésion nationale. 

Mais l’ambition de rupture se heurte aux limites de sa propre mise en œuvre. L’intégration accélérée des trois États dans le cadre de l’AES repose sur des logiques plus politiques que socio-économiques, et laisse planer des doutes sur sa viabilité réelle. L’histoire récente de la CEDEAO, aussi imparfaite soit-elle, montre qu’aucun projet régional ne peut s’affranchir des réalités culturelles, linguistiques, et historiques propres à chaque pays. En l’absence d’un socle institutionnel robuste et inclusif, le risque est grand de voir cette alliance s’étioler face aux défis internes. 

En effet, les promesses initiales de souveraineté se heurtent à une dégradation continue de la situation sécuritaire et à une gouvernance parfois perçue comme déconnectée des attentes populaires. L’enthousiasme suscité par les discours souverainistes laisse progressivement place à une forme de désillusion, alors que les réponses concrètes aux crises multiples tardent à émerger. 

La crise de gouvernance au Sahel ne date pas d’hier. Elle résulte en partie d’un héritage colonial dont les élites postindépendance n’ont pas su ou voulu se départir. L’État postcolonial a trop souvent reproduit, sans les adapter, les logiques d’exclusion, de centralisation et de domination qui prévalaient auparavant. Faute de projets nationaux inclusifs et de récits collectifs mobilisateurs, les sociétés sahéliennes restent fragmentées, vulnérables aux instrumentalisations communautaires et aux replis identitaires. 

Les Conférences nationales des années 1990, censées refonder les pactes sociaux, ont échoué à s’ancrer dans une véritable dynamique de transformation. Les tensions actuelles, qu’elles soient sécuritaires, communautaires ou linguistiques, trouvent en grande partie leur origine dans des injustices historiques non résolues. Ainsi, au Niger, la controverse suscitée par l’article 12 de la Charte de la refondation illustre les fragilités persistantes du tissu national. Le débat autour du statut des langues nationales met en lumière un malaise ancien, entretenu par une politique linguistique perçue comme discriminatoire. 

Le choix de la langue haoussa, aussi rationnel puisse-t-il paraître sur le plan démographique, ne peut faire l’économie d’une démarche participative et apaisée. Il serait plus pertinent de reconnaître la diversité linguistique du pays comme une richesse à valoriser plutôt qu’un obstacle à surmonter. Le maintien du français comme langue de travail, tout en soutenant le développement des langues nationales, pourrait constituer une voie médiane plus consensuelle. 

Par ailleurs, l’absence de référence explicite à l’alphabet tifinagh dans les textes fondateurs de la refondation soulève des interrogations légitimes sur l’inclusivité réelle du processus. Une refondation véritable ne saurait faire l’impasse sur les identités culturelles historiques qui composent la réalité nigérienne. 

Le processus de désignation des membres du Conseil consultatif, entaché de contestations, notamment quant au respect des résultats issus des consultations locales, vient ajouter une couche d’inquiétude quant à la sincérité du processus de refondation annoncé. La participation des citoyens ne saurait se réduire à une procédure formelle si elle vise à réconcilier le peuple avec ses institutions. 

Il est possible que l’agitation actuelle au Sahel soit, en réalité, le prélude nécessaire à une remise en question plus profonde. Une opportunité, certes fragile, de revisiter les fondements des États sahéliens et d’imaginer un projet politique à la fois enraciné dans les réalités locales et ouvert aux exigences du monde contemporain. Pour cela, toute initiative régionale, telle que l’AES, devra nécessairement s’inscrire dans une vision à long terme, qui place l’humain, la justice sociale et la reconnaissance des diversités au cœur du projet. 

Car la question centrale demeure : l’AES entend-elle simplement rompre avec le passé, ou aspire-t-elle à bâtir un avenir commun capable de résister aux épreuves du réel ? 

Abdoulahi ATTAYOUB   

15.05.2025