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Jean de Kervasdoué, vient de nous communiquer sa dernière chronique publiée dans le magazine Le Point. Né à Lannion, Jean est un économiste reconnu de la santé français. Ancien Directeur général des hôpitaux, ancien titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé du Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM), il est membre de l’Académie française des technologies.
Les citoyens des Etats-Unis voteront prochainement pour une élection dont les résultats auront une importance planétaire mais qui sont d’abord, à l’évidence, cruciaux pour les Américains.
En cette période de campagne électorale, il est intéressant d’examiner les thèmes choisis par les deux candidats et, plus encore peut-être, ceux qui sont ignorés ou à peine évoqués. Il en est ainsi de la santé splendidement ignorée par Trump et son équipe durant son mandat au cours duquel il n’a eu de cesse de détricoter ce qu’avait permis son prédécesseur grâce à sa loi connue sous le nom d’ « Obamacare ».
Quant à Kamela Harris, à ce stade, elle aborde ce vaste domaine en se limitant - ce qui n’est pas rien - au droit à l’avortement, au contrôle du prix des médicaments et à une meilleure couverture assurantielle d’une partie de la population, mais ceci reste bien limité.
Si en 2019, comme Bernie Sanders, elle plaidait pour la création d’une assurance maladie universelle, elle n’a pas repris ce thème. Biden s’y est alors opposé en prétendant que cela augmenterait les impôts, ce qui est évident ; il oubliait toutefois de dire que cela baisserait simultanément les primes d’assurance qui sont considérables. Elle n’évoque donc aujourd’hui qu’une éventuelle extension de la couverture des assurances-santé soit, pour l’essentiel, de refaire ce que Trump a défait.
Cette ambition limitée peut surprendre car les sondages d’opinion indiquent que la santé préoccupe les Américains (64%) quasiment autant que l’inflation (65%) et bien plus que l’immigration (47%) - sujet majeur de Trump -, le changement climatique (39%) ou le racisme (35%)[1].
On constate donc qu’il est difficile, aux Etats-Unis comme en France, de proposer au cours d’une campagne électorale une politique de santé, même quand le besoin se fait douloureusement sentir.
La santé des Américains n’est pas bonne
et le système de soins est aussi inégalitaire qu’onéreux, même si beaucoup d’innovations médicales majeures naissent chaque année aux Etats-Unis. Nous découvrons une fois encore que santé et médecine ne sont pas des synonymes et qu’il ne suffit pas de produire des médicaments innovants pour que la population vive plus longtemps. La santé des américains n’est pas bonne.
En 2023, leur espérance de vie à la naissance était de 76,9 années pour les hommes et de 81,6 années pour les femmes ; en France ces chiffres sont de 80,0 ans pour les hommes et de 85,7 ans pour les femmes, entre 3 et 4 années de différence donc.
Rappelons qu’en 1939 l’espérance de vie américaine était de 7 années supérieure à la nôtre ! Pourtant, selon l’OCDE[2], les Français fument plus : les fumeurs représentent 25,3% de la population de 15 ans et plus en France, 8,8% aux Etats-Unis ; les Français boivent plus : 10,5 litres d’alcool pur pour les plus de 15 ans et plus en France, 9,5 litres aux Etats-Unis, mais l’obésité (Indice de masse corporelle supérieure à 30) touche 14,4% de la population en France contre 33,5% de la population aux Etats-Unis.
La mortalité maternelle est de 7,9 décès pour 100 000 naissances en France et de 21,1 aux Etats-Unis ; de même, la mortalité infantile est supérieure aux Etats-Unis : 5,4 décès pour 1000 naissances contre 3,6 en France qui pourtant n’est pas particulièrement exemplaire (1,6 en Finlande).
Pour 100 000 habitants, la mortalité évitable par prévention est de 109 en France, 236 aux Etats-Unis, les Américains courent donc plus de risques. La mortalité évitable par traitement est de 51 en France et de 96 aux Etats-Unis, les soins sont donc de meilleure qualité en France.
La mortalité due au Covid entre 2020 et 2022 a été supérieure aux Etats-Unis : 325 décès pour 100 000 habitants, 257 en France. La mortalité par crise cardiaque et autres maladies ischémiques frappe trois fois moins les Français que les américains (39 décès pour 100 000 habitants contre 117). Enfin les décès liés aux opioïdes pour les personnes de 15 à 60 ans sont, en 2019, de 10 par million d’habitants en France et de 240 aux Etats-Unis.
En résumé donc, sans que la France soit aussi exemplaire que les pays d’Europe du nord et le Japon =>
la santé des Français est incomparablement meilleure et leur médecine l’est aussi.
Pourtant les Américains dépensent par an et par habitant 12 555 $ et les Français un peu plus de la moitié 6 630 $.
En 2022, aux Etats-Unis, 16,6%[3] du PIB était affecté à la santé, 11,5% en France qui se place pourtant en 4ème position des pays de l’OCDE (la moyenne de ces pays est de 9,2% du PIB).
Rappelons qu’un point de PIB, en France, représente environ 23 milliards d’euros en 2023, notre excès de dépense par rapport aux pays comparables est donc de l’ordre de 50 milliards, mais rien à voir avec les Etats-Unis dont l’état sanitaire de la population est alarmant et la gabegie patente.
Soulignons enfin que 48% des dépenses américaines sont financées par des impôts et des taxes soit donc 6 026 $ ; en France ce chiffre est de 78 % soit donc 5 151 $.
Les contribuables américains payent donc plus que les Français pour leur santé ! Je doute qu’ils en soient conscients.
Aux Etats-Unis, 91% de la population est couverte par une forme d’assurance maladie. 38% l’est par les trois programmes publics : MEDICARE (les 65 ans et plus), MEDICAID (les pauvres) et la VETERAN ADMINISTRATION (les anciens combattants).
53% ont une assurance privée, le plus souvent liée à leur contrat de travail et 9% rien, ce qui a un instant donné représente 31 millions d’habitants, mais quasiment le double au cours d’une année, selon que l’emploi du moment offre ou n’offre pas de couverture « santé » ce qui n’est pas obligatoire quand l’entreprise a moins de cinquante salariés.
En outre, pour ceux qui sont assurés, il y a le plus souvent des franchises importantes si bien que 10% de ces assurés paieront de leur poche au cours d’une année 5 390 $ et 1% 19 500 $ en 2023, aussi 41% des Américains se sont endettés pour réduire leurs dépenses de santé et 25% disent s’être privés de soins pour des raisons financières !
En outre les soins dentaires, les lunettes, ou les appareils auditifs sont peu ou mal remboursés. Les conditions de remboursement des médicaments sont d’une extrême complexité et varient d’une assurance à l’autre.
Pour MEDICARE, le système s’est simplifié en 2020 : les patients payent de leur poche 25% du prix et, si le montant payé dépasse un seuil, qualifié de « limite catastrophique », ce taux descend à 5%.
Il faut dire qu’aux Etats-Unis les prix des médicaments sont libres depuis l’année 2000 (la famille Bush a toujours été proche des industriels de la pharmacie), que la publicité pour les médicaments est autorisée à la télévision et que, jusqu’à une date récente, il était interdit aux programmes fédéraux de négocier les prix avec les industriels.
Joe Biden et Kamela Harris font grand cas de la possibilité pour MEDICARE de faire baisser certains prix de médicaments à partir de 2026, mais cela ne rapportera que 6 milliards de dollars.
En 2023, les dépenses de santé des Etats-Unis étaient de 4 800 milliards de dollars soit le double du PIB de la France ! Si ce système est aussi onéreux, cela provient d’un effet paradoxal des mécanismes d’assurance.
En effet, les gens riches bénéficient d’assurance qui couvrent les hôpitaux luxueux et les médecins onéreux, les autres essayent de suivre et ainsi la concurrence produit de l’inflation et rend solvables des tarifs de plus en plus élevés.
Aux Etats-Unis, une IRM coûte 4 000 $, un scanner 3 000 $, un pontage coronarien de l’ordre de 80 000 $, une appendicectomie au minimum 40 000 $. En France, en secteur 1 (celui des tarifs opposables), le prix est à diviser par un facteur allant de 7 à 10 !
Quant au salaire moyen d’une infirmière en Californie, il est de 116 000 $ (104 400 €), comparés au 29 000 € nets, le salaire moyen d’une infirmière française.
La conclusion est claire :
Kamela Harris avait raison quand, en 2019, elle soutenait la proposition de Bernie Sanders, celle d’instaurer un système d’assurance maladie universelle, seul moyen d’arrêter cette inflation qui ne bénéficie qu’aux acteurs de la santé au détriment du reste de la population.
Je doute cependant qu’elle l’annonce durant cette campagne, tant elle risquerait alors de passer pour « libérale », c’est-à-dire socialiste, auprès d’une partie significative de son électorat. Le fera-t-elle si elle est élue ? Cela est peu probable et dépendra notamment de la composition du Sénat.
Elle pourrait cependant baisser progressivement l’âge qui permet d’entrer dans MEDICARE et, de même, avec les Etats de l’Union, étendre les conditions qui autorisent les plus pauvres à bénéficier de MEDICAID, réduisant ainsi la part des non-assurés qui sont pour l’essentiel des jeunes adultes exerçant des petits boulots.
Quant à la régulation du prix des médicaments, jusqu’où ira-t-elle ? Interdira-t-elle leur publicité comme c’est le cas en France ?
Constater la mauvaise santé des Américains, comme l’inégalité de leur accès aux soins ne conduit pas toujours à résoudre ces problèmes.
Michèle Obama en son temps a pourtant tenté d’expliquer les conséquences de la malbouffe, mais sa pédagogie efficace semble avoir eu peu de poids face à l’industrie agro-alimentaire.
Un système d’assurance universelle remettrait en cause les privilèges des assureurs, de l’industrie biomédicale et des professionnels de santé, ce qui fait beaucoup de monde et semble idéologiquement impossible dans un pays où l’on croit que les dépenses publiques sont par essence mauvaises.
En France, si les thèmes essentiels sont différents, ils sont aussi superbement ignorés par la classe politique.
Quel parti propose de modifier les modalités de paiement des généralistes ?
Quel élu reconnait que nous ne sommes plus capables d’avoir des médecins et chirurgiens spécialistes dans une bonne moitié des hôpitaux publics et qu’il faut donc en tirer des conséquences pour l’organisation des soins et l’accès de tous à une médecine de qualité ?
Qui s’intéresse à la recherche médicale et à l’enseignement de la médecine qui ne peuvent plus avoir pour seules références les ordonnances de 1958 quelques qu’en furent la qualité ?
Nous allons donc suivre avec intérêt la campagne électorale américaine et la politique du Gouvernement français qui ne devrait pas tarder à être nommé et voir s’ils s’attaquent aux questions structurelles.
Jean de Kervasdoué
Chronique également publiée dans Le Point du 17 aout 2024
[1] https://www.pewresearch.org/politics/2023/06/21/inflation-health-costs-partisan-cooperation-among-the-nations-top-problems/ [2] Les meilleures sources de données proviennent de l’OCDE. Toutefois, le rapport 2023, publié en 2024, utilise des données de 2022, voire de 2021. OCDE – Panorama de la santé 2023 - https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/5108d4c7-fr.pdf?expires=1723735157&id=id&accname=guest&checksum=B2B110FE98DEFCCC5B8DC4426C7848A5 [3] Les chiffres de l’OCDE sont parfois différents de ceux des Etats, car ils sont retraités. Ils sont cependant les seuls à permettre des comparaisons sur des bases communes.