L’information et le journalisme au XXIème siècle en France : enjeux et défis

Patrice Cardot a servi la France dans de nombreuses fonctions : cadre de direction (direction des études, délégation aux relations industrielles) et enseignant-chercheur dans diverses grandes écoles d’ingénieur et universités en France et au Maroc, cadre d’administration centrale au sein de la Délégation générale de l’armement et du Ministère de l’Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie, chargé de mission ‘Europe’ auprès du ministre de la Défense, et enfin, chargé de mission ‘questions européennes et internationales’ au sein du Conseil général de l’armement, organe de réflexion placé auprès du ministre de la Défense.  Ancien auditeur de l’Institut diplomatique (2005), de nombreuses missions d’études lui ont été confiées par les pouvoirs publics nationaux et européens dans le cadre de mandats officiels. Patrice Cardot est chevalier de l’ordre des palmes académiques et de l’ordre national du Mérite. 

Précédent article => Chercher à comprendre l’antisémitisme contemporain à l’aune du conflit au proche Orient.


L’information et le journalisme au XXIème siècle : enjeux et défis. Investigations sur le cas particulier de la France 

Le monde de l’information a été marqué ces dernières années par des bouleversements liés à la révolution numérique. C’est dans ce contexte que les États généraux de l’information[1] ont été lancés en France le 3 octobre 2023 afin de poser les bases d’un modèle d’espace médiatique et numérique pour les générations à venir, en associant les professionnels, les chercheurs et les citoyens. 

Ce processus se déroulera jusqu’à l’été 2024 et donnera lieu à un ensemble de propositions concrètes afin d’anticiper les évolutions à venir dans le champ de l’information. L’étude que j’ai entreprise sur les enjeux et défis posés à l’information et au journalisme en France, en ce XXIème siècle, et qui est consultable sur le site academia.edu[2], s’inscrit dans cette dynamique d’analyse et de propositions. Conduite sous la forme d’une enquête qu’aurait mené un journaliste d’investigation indépendant; elle s’est attachée à clarifier les notions fondamentales mises en jeu au sein de l’écosystème informationnel mondial, puis de l’écosystème informationnel français (information, opinion, ingérence, liberté d’expression, liberté d’opinion, manipulation de l’information, journalisme, etc.), l’état du paysage médiatique national, le rôle et l’action de l’Etat dans ce vaste registre, ainsi que le cadre légal au sein duquel le journalisme opère en France. 

Si elle a été aussi l’occasion de mettre en évidence les controverses qui se sont développées autour de notions telles que le complotisme, l’ingérence étrangère, etc., elle s’est amplement appuyée sur des enquêtes expertes qui ont rendu également possible une appréciation documentée de l’intérêt des Français pour l’information, ainsi que des facteurs qui concourent aujourd’hui à une fatigue informationnelle qui vient ajouter à la fatigue démocratique que traverse le pays. 

A l’heure où les débats autour de la perte de souveraineté populaire au sein des démocraties libérales occidentales rejoignent ceux ouverts autour de la question de perte de souveraineté au sein du cyberespace, l’Union européenne comme ses Etats-membres les plus avancés sur le registre technologique (notamment la France) n’ayant jamais entrepris d’aucune manière d’agir dans un sens contraire malgré des agendas numériques trompe-l’œil, les différentes catégories de public victimes à la fois d’une infobésité et d’une fatigue informationnelle en même temps qu’elles font de plus en plus fréquemment preuve d’une fatigue démocratique, seront très probablement tentés d’abdiquer aussi en se soumettant aux diktats informationnels des nouveaux producteurs de connaissance et d’information que sont devenus les grandes plateformes numériques américaines et chinoises, en se trouvant totalement démunis devant les risques et menaces évoqués dans cette analyse. 

La quête légitime d’information se trouvera de plus en plus satisfaite, d’une part, de manière passive, par l’afflux automatique de dépêches multimédias générées par des applications d’intelligence artificielle générative (IAG) et diffusée sur les supports numériques de télécommunication grand public (tablettes, smartphones, …), et d’autre part, lorsque les individus formuleront des requêtes ciblées, par des connaissances codées répondant aux critères formulées dans ces requêtes et générées là encore par des applications d’IAG conçues par des entités ne présentant pas nécessairement les garanties éthiques, déontologiques et de transparence que les tentatives de réglementation chercheront à imposer. 

Il y a là un enjeu d’ingérence d’une dimension infiniment plus inquiétante que celle contre laquelle luttent aujourd’hui les gouvernements et leurs relais technologiques et médiatiques. Les visées et les instruments d’un autoritarisme politique aux accents sécuritaires et ceux d’un (néo)libéralisme spéculatif aux effets sociaux et sociétaux inquiétants donnant de plus en plus l’impression d’œuvrer de conserve au coeur même des vieilles démocraties, le XXIème siècle sera-t-il celui où les dynamiques du libéralisme économique viendront s’opposer frontalement à celles du libéralisme sociétal, en s’articulant avec celles d’un contrôle social mis au service d’un illibéralisme politique prenant appui sur un écosystème médiatique hautement technologisé et capable d’enfermer la pensée dans des carcans idéologiques funestes ? 

Un écosystème capable de tirer parti d’une fatigue démocratique[3] et d’une fatigue informationnelle de plus en plus marquées, pour conditionner une opinion publique « captive » dont les niveaux d’éducation, d’instruction, et d’intérêt pour la culture comme le QI moyen ne cessent de chuter[4] pour la soumettre à des injonctions politiques, idéologiques et économiques sans que puissent leur être opposées des points de vue forgés par des esprits critiques auxquels auraient été transmis « un ensemble de notions, de doctrines et de principes théoriques hérités des grands penseurs du passé, dont la fréquentation et l’usage augmenteraient les capacités de recul critique vis-à-vis de toutes les croyances, les valeurs, les pratiques et les institutions qui ne cessent chaque jour de se présenter à notre attention et d’exiger notre adhésion. »[5] 

Face à ce projet orwellien prospérant sur le déclin « krausien » qui résulterait de ce progrès si candidement porté par une intelligentsia aveuglée, comment serait-il possible de rester indifférent …. Et silencieux ? 

« Notre tâche d'homme est de trouver les quelques formules qui apaiseront l'angoisse infinie des âmes libres. Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste, le bonheur significatif pour des peuples empoisonnés par le malheur du siècle. Naturellement, c'est une tâche surhumaine.  Mais on appelle surhumaines les tâches que les hommes mettent longtemps à accomplir, voilà tout. » Albert Camus (Les Amandiers

 lire L'ETUDE => jointe


   [1] Voir le site officiel : https://etats-generaux-information.fr/[2] Patrice Cardot - L’information et le journalisme au XXIème siècle : enjeux et défis Investigations sur le cas particulier de la France – Acamedia.edu https://www.academia.edu/115229861/L_information_et_le_journalisme_au_XXIème_siècle_enjeux_et_défis_Investigations_sur_le_cas_particulier_de_la_France[4] CfPourquoi le Quotient Intellectuel (QI) chute-t-il en Occident ? notre-planete.info [5] Cf. Stéphane Maldérieux – La critique comme attitude - AOC Media

Lire également =>  De quoi la Francophonie est-elle le nom ?