Pour une Francophonie nouvelle avec l’Armazonisme. Mme H0-SACK-WA/BADAMIE

Mireille Ho-Sack-Wa/Badamie est Guyanaise. Spécialiste des langues régionales, elle appartient à la famille Johannes-Kayamaré, Membre de la nation Kali’na-Tilewuyu. C'est la première femme docteure de la communauté amérindienne Kali’na. Elle a présenté une thèse sur la perlerie. Docteure Mireille Badamie, Ho-Sak-Wa, a rendu ses lettres de noblesse, à cette pratique ancestrale, chargée d’histoire. C’est la première fois que cette thématique est explorée, par une universitaire issue de la communauté amérindienne. Enseignante de Lettres-Histoire, Chargée de Cours à l’Université de Guyane en diversité des langues culture amérindienne et des arts en Amazonie. Elle a présenté des conférences en Guyane et au Canada. Parmi ses publications, Arts de Guyane, Résilience généalogique prénoms kali’na, Narration amérindienne poétique sur Damas.

Propos recueillis par Jean-Claude MAIRAL

Jean Claude Mairal : Dre Mireille HO-SACK-WA/BADAMIE, vous êtes la première femme docteure de la communauté amérindienne Kali’na. Vous avez présenté en 2022 une thèse sur l'art de la perlerie dans ces communautés. Alors que les peuples amérindiens de Guyane, mais aussi d'Amazonie ont été méprisés, dépossédés de leurs cultures et de leurs langues par une assimilation forcée, mais aussi de la terre de leurs ancêtres, n'est-ce pas pour vous, votre famille et votre communauté, un motif d'une très grande fierté? N'est-ce pas également pour les jeunes amérindiens, filles ou garçons, un encouragement à poursuivre la voie qui est la vôtre, de revendiquer ses racines et ainsi de montrer toute la richesse et les potentialités des peuples amérindiens?  

Mireille HO-SACK-WA/BADAMIE : Être la première femme docteure Guyanaise d’origine amérindienne Kali’na représente une démarche de réparation personnelle familiale et collective des peuples amérindiens de Guyane. Elle l’est aussi pour l’ensemble des artistes Amérindien.n.e.s de Guyane. L’accomplissement de cette thèse sur l’art en Perlerie Amérindienne se distingue d’une grande fierté, par cette reconnaissance au titre de Docteure. Toutefois, le parcours fut semé d’embûches et de mépris de la part de certains chercheurs occidentaux… Le mépris est toujours d’actualité ! Ma thèse invite tous ces jeunes Amérindien.n.e.s à poursuivre cette voie racine ancestrale et voix revendicatrice qu’est la mienne autour d’une résilience artistique, philosophique, anthropologique, littéraire et réparatrice. La richesse du patrimoine de nos peuples amérindiens constitue le nouveau paradigme de pensée qui se pare de nouvelles compétences intellectuelles.

Jean Claude Mairal : Lors de l'inauguration de la cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, le Président de la République, Emmanuel Macron a notamment déclaré: "Un Français peut parfaitement se réclamer de plusieurs appartenances linguistiques. Chacun a le droit de connaître, parler, transmettre sa ou ses langues, et c'est un droit non négociable. Toutes les langues sont égales du point de vue de la dignité. C’est pourquoi je veux que nos langues régionales soient encore mieux enseignées et préservées, qu'elles trouvent leur place dans l'espace public, en un juste équilibre entre leur rôle d'ancrage de langue régionale et le rôle essentiel de cohésion de la langue nationale. « Chez tout être humain, écrit Amin Maalouf, existe ce besoin d'une langue identitaire. Chacun de nous a besoin de ce lien puissant et rassurant. » Mais il faut entendre dans ce mot d'identité, surtout chez vous, non pas une identité contre, une identité meurtrière, mais une identité avec, qui ajoute, qui grandit, qui multiplie. Et là est précisément la force du français. Nous avons besoin de toutes ces langues, et d'une langue qui soit la même de Lille à Nouméa, de Marseille à Pointe-à-Pitre, pour nous sentir appartenir à la même entité nationale en nos différences."  Avec votre connaissance de la situation en Guyane, que lui répondez-vous à la lecture de sa déclaration? Que lui demanderez-vous afin que ces propos soient réellement mis en application en Guyane?  

Mireille HO-SACK-WA/BADAMIE : Je lui demanderai un entretien officiel pour débattre sur nos langues de Guyane. La réappropriation de nos langues est un sujet sensible et très important pour l’avenir linguistique de notre pays. Il importe de retrouver cette dignité identitaire linguistique. Pour cela, je souhaite débattre, discuter, avec Monsieur le Président de la République, afin qu’il ait une nouvelle approche du discours guyanais. Les langues se vivent, se parlent, s’échangent, se partagent et doivent imprégner les autres, d’une culture linguistique identitaire différente, pour une identité linguistique d’équilibre partagée.

Jean Claude Mairal : Il y a une profonde méconnaissance chez les citoyens, les élus et les acteurs économiques de l'hexagone, de la réalité des territoires ultra-marins et de leurs populations. Alors que ces territoires possèdent une richesse humaine, une diversité culturelle, une créativité et des potentialités économiques et environnementales considérables, on sous-estime grandement l’intérêt pour le rayonnement de la France, de pouvoir disposer de ces territoires qui sont présents aux quatre coins du Monde et sur trois Océans, faisant de notre pays, le 2ème empire maritime mondial, après les USA. Vous qui êtes née dans un de ces territoires, comment analyser ce désintérêt, incompréhensible à mes yeux ? Que faudrait-il mettre en œuvre pour que l'ensemble de nos concitoyens et des décideurs prennent conscience de la force que représentent ces territoires pour la France?      

Mireille HO-SACK-WA/BADAMIE : Ce désintérêt parait en effet incompréhensible à vos yeux, il l’est aussi pour moi. Il existe une grande méconnaissance du territoire guyanais de la part de l’occident. On croît la connaitre… Pour mieux saisir cette richesse humaine, il faut prendre en compte toutes les réalités sociales de la Guyane, son histoire, son ancestralité et lui accorder sa vraie dimension de rayonnement. Il semble que l’intérêt accordé ne soit que subversif. Nous pourrions répondre davantage à ce questionnement, en nous invitant à en parler dans le cadre de nos missions de recherche.

A gauche Mme Juliette Chipouka Will, suivie du Dr Ho-Sak-Wa Badamie, puis sa tante Johannes Célestine. et à droite sa fille Vénilla Badamie

Jean Claude Mairal : En 2024, la France accueillera dans l'Hexagone, le Sommet de la Francophonie. A mes yeux, les Outre-Mer sont partie prenante de la Francophonie, avec leur particularité et leur diversité culturelle et linguistique. Fortement marqués par l'Histoire coloniale qui pèse dans les consciences et dans les rapports entre les différentes communautés, il y a souvent parmi une partie des peuples des Outre-Mer de la suspicion quand on parle de la Francophonie. N'est-il pas temps de repenser en France, la Francophonie en intégrant pleinement dans toute leur richesse et leur diversité, l'ensemble des territoires des Outre-Mer? Et peut-être de parler plutôt des Francophonies?    

Mireille HO-SACK-WA/BADAMIE : Il est plus que temps de repenser la Francophonie. Il serait souhaitable de parler de « Francophonie nouvelle » ou « Nouvelle Francophonie » à travers l’Armazonisme. Ce concept initié par nos soins. Ainsi le rayonnement de la France passerait par cette Francophonie nouvelle liée à l’Armazonisme, regroupant les Outre-Mer et l’Hexagone. Je propose une conférence sur ce concept de l’Armazonisme lors du Sommet 2024.

Jean Claude Mairal : Lors de notre entretien téléphonique sur le sujet de la Francophonie, vous m'avez indiqué que vous souhaitiez que s'engage une nouvelle réflexion, de penser une nouvelle Francophonie en lui donnant un nouveau rôle et en employant de nouveaux mots. Qu'entendez-vous par-là, en employant à plusieurs reprises le terme nouveau?    

Mireille HO-SACK-WA/BADAMIE : En effet, j’ai suggéré lors de notre conversation, une nouvelle appellation de « Francophonie nouvelle » ou « Nouvelle Francophonie ». Je le précise notamment en question précédente. Le terme nouveau susciterait une régénération de cette francophonie de base. Personnellement, je n’approuve pas forcément « Francophonie » qui représente à mes yeux, simplement, l’écho de la langue française à travers un concept occidental. Si la France souhaite rayonner à travers ses territoires d’outre-mer, il serait judicieux qu’elle adopte un nouveau langage basé sur les langues de l’Armazonisme et considérer à juste titre la ou les langues ancestrales de ses territoires. Ne plus les considérer comme des langues dites « sauvages » ou à connotation « primitive ». Je m’explique : ne plus les voir de manière luminescente, aux interactions froides, ou à travers un regard et des notions de « carbet ». Le carbet dans toute sa dimension linguistique symbolique, doit véritablement intégrer le langage français à travers les langues des DOM-ROM. Le concept de l’Armazonisme justement rentre dans ce cadre où nous pourrions intégrer une charte de droit et de respect et des connotations originelles. Pour que la France et les DOM rayonnent dans toute leur dimension linguistique, les DOM doivent constituer en priorité, un patrimoine linguistique résurgent. Les langues amérindiennes, par exemple doivent être pleinement enseignées dès le plus jeune âge jusqu’à l’université. Parallèlement, la France devrait adopter un principe d’égalité et de relation de réciprocité linguistique en enseignant dans un premier temps, quelques langues des DOM, dans les écoles, collèges, lycées, universités françaises. Certaines sont enseignées uniquement en options dans les universités, telle que l’Université de la Guyane. J’ai moi-même enseigné la culture amérindienne en options dans cette dite Université. Nos langues, nos cultures « sous-couvertes d’appartenance » à la France, ne doivent pas être optionnelles, elles doivent être réelles et obligationnelles, dans un cursus de contrat de tronc commun Et pour reprendre les propos du Président MACRON, que vous avez mentionné plus haut : 

« Un Français peut parfaitement se réclamer de plusieurs appartenances linguistiques. Chacun a le droit de connaître, parler, transmettre sa ou ses langues, et c'est un droit non négociable. Toutes les langues sont égales du point de vue de la dignité. »

Cette citation m’invite à la réflexion suivante : dans ce cas, retrouver pleinement dignité de toutes nos langues doit passer par l’apprentissage de celles-ci dans toutes les composantes éducationnelles de la France et des DOM, pour un meilleur rayonnement culturel. Ainsi, le chemin de la dignité linguistique passerait par une « Nouvelle Francophonie » de création linguistique et de résurgence culturelle politique. C’est ainsi, que la France doit rentrer en discussion avec les Dom et les acteurs de ce patrimoine. Elle doit repenser sa Francophonie, pour rétablir une réelle symbolique linguistique ancestrale, comme étant le fondement d’un nouveau rayonnement.

Jean Claude Mairal Le Sommet de la francophonie ayant lieu en France, quelles initiatives pourraient être prises en 2024, au-delà du sommet institutionnel et de la "photo de famille", permettant dans l'hexagone, mais aussi dans les territoires ultra-marins, de faire prendre conscience de l'intérêt de la Francophonie et des Outre-Mer pour le rayonnement de la France; et pour l'ensemble des territoires ultra-marins de faire vivre avec fierté leurs spécificités, leur richesse culturelle et ainsi de porter la voix de ces territoires au sein de l'espace et des institutions de la Francophonie? De nombreuses initiatives pourraient être prises.  

Mireille HO-SACK-WA/BADAMIE Mais pour cela, il nous faut nous rencontrer pour en discuter.

Jean Claude Mairal Militant depuis longtemps de la coopération de territoires à territoires de différents pays, ne serait-il pas opportun et judicieux de pouvoir favoriser des liens de territoires ultra-marins, de la Guyane notamment, avec des territoires de l'hexagone permettant de développer des échanges entre jeunes?  

Mireille HO-SACK-WA/BADAMIE Cela peut-être une bonne initiative !

Cayenne, le 01/02.2024