Comme le souligne l’économiste Elie Cohen, s’il est un enseignement qui ressort avec évidence de la crise de la covide19, c’est que l’État français autoritaire, centralisateur et procédurier est à repenser. Cette observation est largement partagée par des Français désormais plus ouverts à une évolution de leurs institutions.
Emmanuel Macron avait, au début de son mandat, non sans audace, indiqué une vision girondine nouvelle, rapidement contrariée par les Gilets jaunes et les grandes grèves liées à la réforme des retraites puis dans les transports.
Il a néanmoins, après avoir, comme jamais, débattu sur le terrain un peu partout et des semaines durant, invité les Français à se réinventer, y compris lui-même, avant d’annoncer des propositions fortes pour le « monde d’après ».
La France des mille fromages mais aussi celle des mille syndicats, celle des fièvres hexagonales et corporatistes, où le moindre compromis est vécu comme une compromission, a commencé à regarder avec un intérêt nouveau les succès du système fédéral* basé sur la recherche du consensus.
L’Allemagne voisine qui s’est reconstruite sur les décombres du nazisme, en faisant justement du consensus la vertu cardinale, mais aussi, la Confédération helvétique qui reste la référence démocratique ancienne et moderne à la fois, même s’il ne faut surtout se garder de toutes transpositions, doivent pouvoir nous inspirer, nous Français.
De fait, le mot même de Fédéralisme que, jusqu’il y a peu, on osait à peine prononcer, ne fait plus peur.
Après tout, n’est-ce pas le Général de Gaulle* qui, une fois réglée l’affaire algérienne, avait lui-même proposé de faire évoluer la Constitution de la Ve République avec la création de vraies régions et la mise en place d’une Participation au sein des entreprises, sorte de cogestion à l’allemande ?
Le « Sénat » s’y était alors, déjà, opposé. Ce fut une immense occasion ratée, comme en 1793 lorsque la Convention proclama l’unité et l’indivisibilité de la République, en réaction aux fédéralistes girondins qui prônaient au contraire la référence à la constitution humaniste des États-Unis d’Amérique.
Faut-il rappeler que la Fête nationale du 14 juillet ne doit rien à la prise de la Bastille, mais tout à cette fête de la Fédération de 1790 initiée par les Girondins ? On sait comment cela a débouché sur un bonapartisme qui imprègne encore profondément et culturellement la France d’aujourd’hui, avec une Éducation nationale toujours napoléonienne, et des préfets en uniforme, même si la Décentralisation lancée en 1981 a fait bouger les lignes.
Et puis, l’État français centralisé s’est paradoxalement et progressivement complexifié avec l’installation, en parallèle, d’une "organisation fonctionnelle", source de confusion et de plus de bureaucratie encore. Ainsi de la création d’une multitude d’établissements publics et d’agences en tous genres, dont le dernier avatar en fut l’installation d’agence régionales de santé (ARS) et la création plus récente d’une Agence nationale de cohésion des Territoires…
On peut comprendre que, dans le cadre du respect des institutions, Emmanuel Macron ait demandé aux présidents des trois chambres (Assemblée Nationale, Sénat et CESE) de lui présenter un diagnostic de sortie de crise. Mais on peut être assurés que les propositions fortes ne viendront pas de ce côté dans la mesure où ce sont ces institutions qui sont aussi en question.
Puisque le président de la République nous a convié à nous réinventer, imaginons enfin, dans le cadre d’une gouvernance à multi-niveaux cohérente, un « Fédéralisme coopératif à la française », un Fédéralisme fidèle aux valeurs républicaines autant que révolutionnaires, en ne se contentant pas de nouvelles lois de décentralisation – toujours du haut vers le bas : -top down – mais en faisant le choix du bas vers le haut : bottom up -, celui d’une construction démocratique participative par agrégations ; comme en Suisse ?
Mais cela suppose, et exige, la création d’un « vrai Sénat »* comme dans tous les États fédéraux du monde, et non pas celui créé en 1875 pour faire obstacle au retour de la République*.
Voilà en tout cas, Monsieur Macron, une proposition forte, fondamentale, efficace et féconde, qui pourrait être enfin soumise aux Français par référendum et dont le résultat pourrait surprendre : le Fédéralisme coopératif.
Pierrick Hamon
ancien président et SG du FERAM, co-initiateur du think tank international I-Dialogos
https://www.letemps.ch/opinions/cest-moment-jamais-batir-un-federalisme-cooperatif-francaise