La question politique est  transnationale et mondiale.

Docteur en philosophie, linguiste et internationaliste, professeur émérite à l’Institut supérieur de traducteurs et interprètes, Université libre de Bruxelles, a enseigné en Algérie, au Gabon, au Mexique, en Iran et en Belgique. Ancien rédacteur d’Associations transnationales de l’Union des associations internationales (UAI), il a créé la revue de cosmopolitique Cosmopolis en 2007 et publié de nombreuses études à l’intersection de la philosophie, des sciences du langage et des sciences politiques. Il dirige la banque de données terminologiques et notionnaires portant sur divers sous-domaines des relations internationales hébergée par l’Observatoire européen du plurilinguisme. (OEP). Il est l'auteur, notamment, de "Le langage est-il logique ? De la raison universelle aux diversités culturelles".

=> L'Edito : pourquoi COSMOPOLIS ?

Abstract : Le projet initial de la SdN, amplifié par les Nations unies, s’est conforté au XXe siècle pour s’affaiblir au cours de ce siècle. Les empires coloniaux européens sont certes arrivés à leur terme, mais la greffe de la démocratie « importée » est en train de dépérir et n’éteint pas les conflits internes, qui parfois virent à l’ethnocide ou au génocide. 

Les anciens empires comme la Russie ou la Chine ont poursuivi ou repris leur extension idéologique, économique ou territoriale,  voire l’ont accentuée sous la poussée d’une identité englobante qui dévore ou étouffe les entités socio-ethniques de moindre ampleur ou les reconquiert. 

Ce sont là autant de facteurs qui compromettent la possibilité d’une prise de conscience des nouveaux enjeux engendrés par les effets destructeurs de l’homme sur la biosphère, l’un d’eux étant l’évolution du climat, après l’émergence d’un espace mondial limité aux échanges économiques et fragmenté de nos jours par la concurrence aveugle des puissances rivales. Centrée sur l’immédiat, l’humanité ne parvient pas à concevoir un droit qui l’intègre dans la biosphère et garantisse le bien commun des générations futures.

« Le seul intraduisible, car univer­sel, est la musique » / George Steiner, Le ch­â­t­eau de Barbe-Bleue

Propos  recueillis par Pierrick Hamon.

I-Dialogos : Paul Ghils, quelles sont les raisons qui vous ont poussé à créer une revue de « cosmopolitique » ?  Est-ce pour promouvoir les valeurs de l’universalisme des philosophes des Lumières ? Le cosmopolitisme est-il une version élargie de la  géopolitique ?      

Paul GHILS : Plus qu’une réponse, le projet Cosmopolis est une question au sens philosophique du terme, mais descend de cette interrogation quelque peu théorique sur ses dimensions éthique, morale, sociale et géopolitique dans la réalité du monde, lesquelles restent des questions. 

Le cosmopolitisme est né d’une interprétation universalisante du monde connu, mais butte indéfiniment sur le socle particulier et réducteur des valeurs et intérêts familiaux, moraux, ethniques et philosophiques. La notion se réfère volontiers à Emmanuel Kant, qui distinguait l'humanité de l'animalité en fonction de la capacité de la première à surmonter les limites de l'existence immédiate et à élargir le cercle d'identification et d'appartenance grâce à la sociabilité (Geselligkeit), et aux sciences humaines (humaniora), afin de cultiver notre humanité en inculquant « le sentiment universel de sympathie et la capacité de s'engager universellement dans une communication très intime »

Cette dernière conception est déjà problématique, car la scission entre l’humain et l’animal, la nature et la culture se révèle être propre au monde occidental et relativise la notion d’universalité et de là, toute hypothèse cosmopolitique. 

Cette dissociation éclate au grand jour ces derniers temps, depuis l’émergence de la notion d’anthropocène, qui rétablit le rapport intime entre l’humanité et un « milieu » considéré pendant longtemps comme extérieur à elle, mais retrouve un empan dont l’humain est un agent, certes actif mais qui déséquilibre les composantes vivantes, mais aussi inanimées de la biosphère, en raison même de cette inconscience humaine.

 L’évolution du climat n’est qu’un aspect de cette évolution – sans la connotation progressiste habituelle -, qui infirme plus encore la vision idéaliste de certains programmes géopolitiques, mais aussi les initiatives d’une société civile qui hésite entre son idéal humaniste et les identités qui s’effritent.  

Cosmopolis

Si l’on remonte dans le temps, le mot « cosmopolite » dérive du grec kosmopolitēs (« citoyen du monde ») et désigne déjà une grande variété de points de vue en philosophie morale et sociopolitique. Il renvoie à l'idée que tous les êtres humains, quelles que soient leur affiliation politique, leurs normes morales ou leur appartenance culturelle, peuvent ou doivent être les citoyens du monde, d'une seule et même communauté idéalement universelle, qui rejette certaines des obligations dictées par leur appartenance. 

Littérale ou métaphorique, la notion de « citoyenneté mondiale » et l’universalisme qu’elle postule restent néanmoins liés au particularisme dès ses origines, grecques s’il s’agit du monde occidental, et ignorent le plus souvent « le reste » ou le monde « oriental », sans quasiment rien en connaître, jusque dans le chef des philosophes contemporains confinés, comme le dit Roger-Pol Droit (2001 et al.), au « monde clos » de la philosophie institutionnelle. L’hypothèse universaliste des Lumières est partiellement infondée pour les mêmes raisons, fût-elle consolidée par les connaissances scientifiques et la lingua franca qui les véhicule en dépassant les contraintes terminologiques d’origine culturelle, jusque dans le langage de la technologie, jugé définitivement universel. 

La communication internationale s’est développée dans ce domaine en fonction de grilles conceptuelles soumises à la normalisation terminologique, bien que l’universalité recherchée par la science soit contrainte à la coopération, à l'interaction et à l'échange au-delà des frontières. Le programme physicaliste du Cercle de Vienne, dont est issue la théorie terminologique dominante, veut néanmoins dépasser les variantes culturelles qui, pense-t-on,  recèlent des concepts et des valeurs susceptibles de fonder un système conceptuel universel que la science a pour tâche de construire via la normalisation et la transnationalisation des savoirs. Concrètement, la revue Cosmopolis est ...  =>  LIRE LA SUITE