La vérité est devenue ce que l’on a envie qu’elle soit

Dans le fil des appels au réveil des intellectuels et des journalistes lancés par deux des plus grands philosophes européens du moment, Jürgen Habermas et Edgar Morin (cf ci-dessous), Michel Urvoy, relève avec force, dans un Point de vue publié le 15 octobre dernier,  que « plus il y a d’informations disponibles, plus la lecture du monde se brouille, plus le dialogue politique devient violent". 

La connaissance avance, et la méconnaissance galope. Moins on comprend le monde, plus on a de certitudes. 

L’humain veut montrer qu’il sait. Je pense, donc je suis. En cette rentrée bruyante, on est gâté. Le flot des affirmations contradictoires, des injonctions agressives et des manipulations incendiaires crée une confusion telle que l’on s’accroche à la moindre bribe qui renforce ce que l’on croit vrai. Jamais les savoirs n’ont été aussi abondants et l’information aussi accessible. 

Pourquoi, alors, l’abêtissement du débat explose-t-il quand la connaissance croît ?

Il y a d’abord l’usage amateur des canaux de l’information. Le lecteur pressé confond information et communication, vérité et instrumentalisation. Il néglige la source, la date, l’authenticité de l’image, la pertinence du chiffre, le contexte du propos tenu, il ignore par qui et comment est produit le message, qui a intérêt à sa diffusion, à quelle fin. 

Ce mauvais usage est renforcé par les algorithmes qui sélectionnent les sujets et les approches que votre cerveau a envie d’entendre. Il en résulte une addiction qui nous envahit, altère le discernement, réduit la réflexion et nous renforce dans nos certitudes. 

Ce mauvais usage, enfin, tient à l’expertise acquise par les lobbys politiques, économiques, les influenceurs, les États… pour manipuler l’opinion. Bref, par tous ceux qui font profession de nous maintenir dans l’ignorance à leur profit exclusif.

Fatigue médiatique ?

La seconde série d’explications tient à la surabondance de données. Le vertige de l’information nourrit le doute, le rejet parfois. L’éparpillement des nouvelles oblige à être sélectif, à cloisonner, à s’accrocher à quelque certitude. 

Dans le flot des nouvelles, on trouvera toujours la réponse qui conforte ce que l’on pense. Le but n’est plus, dès lors, de se nourrir de l’autre, il est de lui clouer le bec en trois mots sur Twitter. 

Le phénomène des experts participe de cette overdose. 

À force d’en appeler à des spécialistes toujours plus nombreux, on n’en retient qu’une cacophonie. L’expert, par définition, examine un thème précis sous un angle particulier, économique, environnemental, fiscal, social. À les entendre, il faut de l’éolien, mais sans éoliennes. Du solaire sans silicium. De l’essence sans pétrole. De la voiture électrique sans nucléaire. Des batteries sans lithium. Des villes denses sans tours. 

Chaque approche ne suffit évidemment pas à la construction d’un monde fait de contradictions. Dernier ingrédient de ce gloubi-boulga, la surenchère d’acteurs politiques et sociaux en quête de popularité et la sur-dramatisation de médias en manque d’audience. 

La réponse n'est pas l'omniscience

Ainsi, l’abondance d’information ne signifie pas que l’offre est complète, honnête et intelligible. En revanche, elle provoque une fatigue médiatique qui pousse à se réfugier dans la croyance, l’irrationnel, plus que dans la réflexion lucide et documentée.

La vérité est devenue ce que l’on a envie qu’elle soit. C’est-à-dire une contre-vérité ! Un terreau qu’adorent les populistes et autres marchands d’illusions dangereuses. 

Eux savent que l’ignorance, par extension, conduit à ne pas savoir ce que l’on ignore, à croire aux complots et à écarter les connaissances vitales pour la planète, la santé, la paix. 

C’est un comble : plus il y a d’informations disponibles, plus la lecture du monde se brouille, plus le dialogue politique devient violent. 

La réponse n’est pas l’omniscience. Elle consisterait plutôt à faire prendre conscience du danger démocratique de l’ignorance et à encourager le sérieux médiatique : en réprimant la diffamation et la fausse nouvelle, en privilégiant les titres libres et honnêtes, en investissant dans le temps et le professionnalisme journalistiques, en enseignant dès l’école le mode d’emploi des nouveaux médias.

Michel URVOY in Ouest-France 15/10/2022 

 https://mediaserver.univ-nantes.fr/videos/michel-urvoy-lavenir-inquietant-du-journalisme-politique/

https://www.ouest-france.fr/societe/point-de-vue-la-connaissance-avance-la-meconnaissance-galope-3a7a18ac-381e-11ed-8ce0-a7ed58f597f6