L’Afrique, malade de l’absence de démocratie

Ancien Premier Ministre de la République de Centrafrique, Martin ZIGUELE, président du MLPC (Mouvement de libération du peuple centrafricain), est, depuis 2021, Député, membre de la Commission Economie, Finances et Plan de l’Assemblée Nationale. Il fut candidat du MLPC aux précédentes élections présidentielles.  Professionnel de l’Assurance, Martin Ziguele fut également Directeur National de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale.

Propos recueillis par Pierrick Hamon

English translation below

I-Dialogos : Monsieur le Premier Ministre, la multiplication des coups d’Etat et des révisions constitutionnelles, y compris dans votre pays, la Centrafrique, ne signe-t-elle pas l’échec des processus démocratiques sur le continent africain ? « Vous aviez écrit que « la lutte pour la démocratie centrafricaine, ce n’est pas le combat de seuls forces politiques, mais celui de chaque centrafricain ».    

Martin Ziguele : Sur les cinquante-quatre Etats du continent africain qui constituent l’Union africaine aujourd’hui (hors le Sahara occidental et le Somaliland), l’écrasante majorité n’a connu ni coups d’Etat militaires ni révisions constitutionnelles, c’est-à-dire des coups d’Etat civils, ces dernières années. Beaucoup de pays, surtout en Afrique australe et orientale (Afrique du sud, Maurice, Seychelles, Tanzanie, Zambie, Malawi, Namibie, Kenya, et) ont connu au minimum trois alternances démocratiques depuis le tournant des années 1990. 

Le phénomène des coups d’Etat et autres révisions constitutionnelles s’est principalement manifesté dans les anciennes colonies francophones d’Afrique (Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Burkina, Niger, Tchad, RCA) et dans une certaine mesure aujourd’hui au Sénégal. C’est la réalité observée et cela devrait donc nous interpeller, puisque quelques années plus tôt, il n’y avait pratiquement aucun régime militaire en Afrique. 

Ceci dit, le retour des années de plomb dans ces pays illustre la difficulté de l’enracinement de la démocratie représentative en Afrique. 

C’est justement parce que l’Afrique est malade de cette absence de démocratie que la lutte pour la démocratie doit aller au-delà des forces politiques qui sont la première et principale cible des putschistes. Elle doit être le combat de chaque africain, et le rôle des forces politiques et sociales organisées est de continuer à sensibiliser et à mobiliser les populations pour qu’elles soient exigeantes en matière de respect de leurs droits politiques et de leurs aspirations au bien-être. 

Ce combat doit commencer par le regroupement des forces politiques dans de larges coalitions démocratiques, et une fois unies, ces forces politiques devront rechercher l’unité d’action avec les différentes forces sociales autour de messages clairs et démonstratifs des avantages d’une gouvernance démocratique efficace. 

Si les peuples ne voient pas les bénéfices qu’ils peuvent tirer de cette lutte politique, ils ne s’engageront pas puisque lorsqu’il n’y pas d’intérêt, il n’y a pas d’action. Sans être naïf, je demeure convaincu que cette lutte très ardue débouchera sur l’avènement partout en Afrique des Etats de droit, puis des Etats démocratiques. 

L’un des plus farouches obstacles à cette démarche est l’existence et/ou le retour au pouvoir de « clans prédateurs », militaires et civils confondus, qui « mettent le grappin » sur les pays, se barricadent derrière des discours populistes et souverainistes et qui ne produisent aucun résultat dans la réalisation du contrat social.  

La Centrafrique.

I-Dialogos : En France et dans nombre des pays occidentaux, la question de l’adaptation des modèles de démocratie est également posée y compris à propos des limitations du nombre de mandats, comme le relève Serge Mathias TOMONDJI dans sa dernière contribution sur le site de I-Dialogos ?   

Martin Ziguele : Je partage les analyses de Serge Mathias TOMONDJI dans sa dernière contribution sur le site de I-Dialogos que j’ai lue avec délectation. 

Il a évoqué à la fin de son article les résultats des travaux de l’Institut Afrobaromètres qui sont sans appel : selon les données compilées dans 36 pays, en 2021-2022, il résulte que 66 % des africains préfèrent la démocratie à toute autre forme de gouvernement, tandis que 78% rejettent les régimes de parti unique et 67% des régimes militaires.   Devant un tel tableau le débat n’est pas de savoir si la démocratie est bonne pour l’Afrique, mais plutôt quoi faire concrètement pour que les attentes clairement exprimées par les populations africaines soient respectées. 

Des pistes de solution existent, par exemple la relecture de nos constitutions qui doivent effectivement garantir la séparation des pouvoirs et l’indépendance des institutions de contre-pouvoir. Les constitutions ne doivent pas renvoyer à des lois organiques tout ce qui est important pour renforcer le contrôle des institutions et du contrat social. 

Quant aux coups d’Etat militaire, l’absence de réactions nationales et internationales continuera à susciter des vocations. Oui je pense qu’il faut des Etats généraux de la démocratie africaine et l’union africaine doit en prendre le lead parce que cela touche aux Etats.

I-Dialogos : I-Dialogos a choisi comme thème prioritaire celui de médias et de la presse dans le monde avec une approche partagée, notamment quant au regard sur les autres et…  réciproquement. Je fais référence au titre du livre que vient de publier Maurice Gourdault-Montagne, l’ancien ambassadeur et Conseiller Diplomatique de Jacques Chirac « Les autres ne pensent pas comme nous ». Les africains, dites-vous, connaissent la France, ne serait-ce que via leurs tels mobiles et leur histoire commune, mais, paradoxalement les Occidentaux, et en particulier la majorité des journalistes ne connaissent pas, ou pire, ne s’intéressent pas à l’Afrique, notre grand voisin. Que pensez-vous de l’initiative lancée en ce sens par I-Dialogos ?    

Martin Ziguele : La communication est devenue la principale arme de guerre des forces de domination aussi bien au niveau international que national. Je me souviens toujours des combats d’Amadou Mahtar MBOW alors Directeur Général de l’UNESCO sur le nouvel ordre mondial de l’information, et du tollé que sa volonté de reformes dans ce secteur a soulevé à l’époque, jusqu’à provoquer le départ des USA de l’institution pour l’asphyxier. 

Aujourd’hui le déséquilibre en matière de traitement de l’information est patent. Je suis momentanément en France et j’ai suivi le débat sur l’immigration sur certains médias y compris sur une chaine de télévision appartenant à une personne qui doit sa fortune en grande partie à l’Afrique. 

C’est hallucinant de voir que des personnalités qui se disent « africains » amplifient un discours aux antipodes de ce qu’ils disent en Afrique. C’est pourquoi je salue l’initiative de Dialogos. Je suggère que vos articles soient largement partagés sur les réseaux sociaux, qui sont devenus le principal lieu du donner et du recevoir en matière d’idées y compris dans une Afrique où la jeunesse est de plus en plus « digitalisée ». 

J’ai dit que nous Africains connaissons les Français parce que le flux des informations est vertical entre la France et l’Afrique. Il doit être horizontal et c’est en, cela que Dialogos doit et peut innover, en donnant très souvent la parole aux Africains.

I-Dialogos : Lors de votre récente et passionnante conférence à la Fondation Jean-Jaurès, vous avez mis l’accent sur les graves conséquences en Afrique et en Centrafrique de l’intervention militaire en Libye. Le président Obama devait admettre pas la suite (dans son livre) que ce fut sa principale erreur – sous la pression d’Hilary Clinton alors Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères – avec une intervention militaire « impensée » comme ce fut le cas en Irak et en Syrie, entre autres….Qu’en pensez-vous ?     

Martin Ziguele : L’intervention militaire de la France, et de quelques autres pays en Libye, suivie de la mise à mort médiatisée du Colonel Kadhafi, a été vécue par l’Afrique et surtout sa jeunesse, comme l’humiliation suprême. C’est l’acte fondateur de la déstabilisation actuelle de l’Afrique de l’Ouest dans sa partie sahélienne. 

Le fait qu’il ait été soutenu à l’époque des faits par mes amis socialistes n’en changent pas les conséquences que nous visions tous aujourd’hui. 

Je pense que les institutions sous régionales du type CEDEAO et CEEAC, et notre organisation régionale l’Union africaine, doivent être vraiment renforcées pour résoudre en premier les problèmes africains. Elles doivent être mises en capacité d’avoir seules la légitimité des interventions en Afrique.

I-Dialogos : Qu’attendez-vous du prochain Sommet de la Francophonie ? L’Organisation Internationale de la Francophonie est-elle une institution adaptée à notre temps ?    

Martin Ziguele : L’Organisation Internationale de la Francophonie est une institution qui, à mon avis, a toute sa place pour le dynamisme des relations entre les Etats francophones. Je pense également et je l’ai dit à plusieurs reprises, l’OIF doit évoluer vers le modèle du Commonwealth pour répondre à la fois aux objectifs de solidarité, de démocratie et de développement de ses membres.

Cela la rendra plus efficace, plus légitime et plus crédible. L’impression que j’ai est que la personnalité et la stature de ses anciens dirigeants - tel que le Président DIOUF -  « faisaient » la maison…

Maintenant, il est clair que sans cette réadaptation, l’OIF risque de continuer à vivre comme un appendice des Etats les plus puissants et plus gros bailleurs de l’organisation.

I-Dialogos : Vous avez annoncé, votre retour prochain à Bangui. N’est-ce pas un pari trop risqué ?    

Martin Ziguele : Je suis député à l’Assemblée nationale et suis parti de Bangui pour un séjour en France sur la base d’une autorisation d’absence. Maintenant que j’ai fini ce que j’ai à faire, je rentre chez moi. C’est vraiment aussi simple que cela.

Le 09/02/2024

 

Martin ZIGUELE a publié plusieurs livres :
- « De la crise à l’espérance. Ma vision pour la Centrafrique » Editions Dagan, 2015 

- « Le bilan des 50 ans de l’indépendance de l’Afrique » Editions Jean-Jaurès, 2010                         

- « Les techniques de vente de l’assurance vie en Afrique » Editions CICA-RE, 1994

- « La gestion administrative et technique d’une compagnie d’assurance vie » Editions CICA-RE, 1992

- « Les bases techniques de l’assurance vie » Editions CICA-RE, 1990

English 

Former Prime Minister of the Central African Republic, Martin ZIGUELE, President of the MLPC (Central African People's Liberation Movement), has been a Member of Parliament since 2021, and a member of the National Assembly's Economy, Finance and Planning Commission. He was a candidate for the MLPC in the previous presidential elections.  An insurance professional, Martin Ziguele was also National Director of the Banque des Etats de l'Afrique Centrale.

Interview by Pierrick Hamon

I-Dialogos: Mr. Prime Minister, does the multiplication of coups and constitutional revisions, including in your country, the Central African Republic, not sign the failure of democratic processes on the African continent? “You wrote that “the fight for Central African democracy is not the fight of political forces alone, but that of each Central African.”

Martin Ziguele: Of the fifty-four states of the African continent which constitute the African Union today (excluding Western Sahara and Somaliland), the overwhelming majority have experienced neither military coups nor constitutional revisions, c 'that is to say civil coups, in recent years. Many countries, especially in southern and eastern Africa (South Africa, Mauritius, Seychelles, Tanzania, Zambia, Malawi, Namibia, Kenya, etc.) have experienced at least three democratic changes since the turn of the 1990s.The phenomenon of coups d'état and other constitutional revisions mainly manifested itself in the former French-speaking colonies of Africa (Côte d'Ivoire, Guinea, Mali, Burkina, Niger, Chad, CAR) and to a certain extent today in Senegal. This is the observed reality and it should therefore concern us, since a few years earlier, there was practically no military regime in Africa.That said, the return of the years of lead in these countries illustrates the difficulty of taking root of representative democracy in Africa.It is precisely because Africa is sick with this absence of democracy that the fight for democracy must go beyond the political forces which are the first and main target of the putschists. It must be the fight of every African, and the role of organized political and social forces is to continue to raise awareness and mobilize populations so that they are demanding in terms of respect for their political rights and their aspirations for well-being. .This fight must begin with the regrouping of political forces in broad democratic coalitions, and once united, these political forces must seek unity of action with the different social forces around clear and demonstrative messages of the advantages of democratic governance. effective.If people do not see the benefits they can derive from this political struggle, they will not get involved because when there is no interest, there is no action. Without being naive, I remain convinced that this very arduous struggle will lead to the advent throughout Africa of states of law, then democratic states.One of the fiercest obstacles to this approach is the existence and/or return to power of “predatory clans”, military and civilian alike, who “take hold” of countries, barricading themselves behind populist and sovereignist discourses. and which produce no results in the realization of the social contract. Central Africa.

I-Dialogos: In France and in many Western countries, the question of adapting models of democracy is also raised, including with regard to limitations on the number of mandates, as Serge Mathias TOMONDJI notes in his latest contribution to the site of I-Dialogos?

Martin Ziguele: I share the analyzes of Serge Mathias TOMONDJI in his latest contribution to the I-Dialogos site which I read with delight.At the end of his article, he mentioned the results of the work of the Afrobarometer Institute which are clear: according to data compiled in 36 countries, in 2021-2022, it results that 66% of Africans prefer democracy to any other form of government, while 78% reject one-party regimes and 67% military regimes. Faced with such a picture, the debate is not whether democracy is good for Africa, but rather what to do concretely so that the expectations clearly expressed by African populations are respected.Possible solutions exist, for example the rereading of our constitutions which must effectively guarantee the separation of powers and the independence of counter-power institutions. Constitutions should not refer to organic laws everything that is important to strengthen the control of institutions and the social contract.As for military coups, the absence of national and international reactions will continue to arouse vocations. Yes, I think we need States General of African democracy and the African Union must take the lead because it affects States.

I-Dialogos: I-Dialogos has chosen as its priority theme that of the media and the press in the world with a shared approach, particularly with regard to the way we view others and… vice versa. I am referring to the title of the book that Maurice Gourdault-Montagne, the former ambassador and Diplomatic Advisor to Jacques Chirac, has just published: “The others don’t think like us”. Africans, you say, know France, if only through their motives and their common history, but, paradoxically, Westerners, and in particular the majority of journalists do not know, or worse, are not interested to Africa, our big neighbor. What do you think of the initiative launched in this direction by I-Dialogos?

Martin Ziguele: Communication has become the main weapon of war of the forces of domination both internationally and nationally. I always remember the struggles of Amadou Mahtar MBOW, then Director General of UNESCO, on the new world information order, and the outcry that his desire for reforms in this sector raised at the time, to the point of provoking the departure from the USA of the institution to suffocate it.Today the imbalance in information processing is obvious. I am temporarily in France and I followed the debate on immigration on certain media, including on a television channel belonging to a person who owes his fortune largely to Africa.It’s amazing to see that personalities who call themselves “African” amplify a discourse that is the opposite of what they say in Africa. This is why I welcome the Dialogos initiative. I suggest that your articles be widely shared on social networks, which have become the main place for giving and receiving ideas, including in an Africa where youth are increasingly “digitalized”.I said that we Africans know the French because the flow of information is vertical between France and Africa. It must be horizontal and this is where Dialogos must and can innovate, very often giving a voice to Africans.

I-Dialogos: During your recent and fascinating conference at the Jean-Jaurès Foundation, you focused on the serious consequences in Africa and the Central African Republic of the military intervention in Libya. President Obama later admitted (in his book) that it was his main mistake – under pressure from Hillary Clinton then Secretary of State for Foreign Affairs – with an “unthought-out” military intervention as was the case in Iraq and in Syria, among others….What do you think?

Martin Ziguele: The military intervention of France, and a few other countries in Libya, followed by the publicized killing of Colonel Gaddafi, was experienced by Africa and especially its youth, as the supreme humiliation. This is the founding act of the current destabilization of West Africa in its Sahelian part.The fact that it was supported at the time by my socialist friends does not change the consequences that we all saw today.I think that sub-regional institutions such as ECOWAS and ECCAS, and our regional organization the African Union, must be really strengthened to first resolve African problems. They must be enabled to alone have the legitimacy of interventions in Africa.

I-Dialogos: What do you expect from the next Francophonie Summit? Is the International Organization of La Francophonie an institution adapted to our times?

Martin Ziguele: The International Organization of La Francophonie is an institution which, in my opinion, has its place for the dynamism of relations between French-speaking States. I also think and I have said it several times, the OIF must evolve towards the Commonwealth model to meet the objectives of solidarity, democracy and development of its members. This will make it more effective, more legitimate and more credible. The impression I have is that the personality and stature of its former leaders - such as President DIOUF - "made" the house... Now, it is clear that without this rehabilitation, the OIF risks continuing to live as an appendage of the most powerful states and biggest donors of the organization.

I-Dialogos: You announced your upcoming return to Bangui. Isn’t that too risky a bet?

Martin Ziguele: I am a deputy in the National Assembly and left Bangui for a stay in France on the basis of an authorization of absence. Now that I've finished what I have to do, I'm going home. It really is that simple. simple

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