Au cœur des enjeux et défis de la Francophonie / Christian PHILIPP

Christian Philipp est le président de la Maison de la Francophonie de Lyon, et co-président du réseau international des maisons des Francophonies  

https://fr.wikipedia.org/wiki/Christian_Philip

Entretien par Jean Claude Mairal

Jean Claude Mairal : Christian Philip vous avez eu un parcours professionnel et de vie d'une grande richesse et d'une grande diversité, comme peu d'individus peuvent s'en prévaloir: Universitaire, Recteur d'Académie, directeur de cabinet du Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, député, élu local dans toutes les strates institutionnelles, engagement associatif, représentant du Président Sarkozy pour la Francophonie. De cette diversité, ressort cependant un élément important, certainement lié à vos liens avec l'université et l'enseignement, à savoir la langue française et la francophonie, que l'on retrouve actuellement dans votre engagement dans le réseau international des maisons des francophonies. Pourquoi un tel engagement qui vous a valu d'être représentant du Président de la République pour la Francophonie? 

Christian Philipp : J’ai toujours été convaincu que le français portait une culture et des valeurs qui en faisait, même s’il n’a pas vocation à être parlé par tous et partout, même s’il n’est plus une langue dominante, un vecteur important pour défendre la diversité culturelle et linguistique qui seule peut permettre une mondialisation équilibrée et respectueuse des nations composant le monde d’aujourd’hui, d’où mon combat pour la francophonie. Mon engagement est venu tôt quand, jeune président de l’Université du Mans j’ai eu la chance de rencontrer Michel Guillou, alors président de l’Université de Créteil. Avec lui nous mènerons le combat conduisant à la création de l’Agence universitaire de la Francophonie ( AUF ). Plus tard je l’aiderai à mettre en place à Lyon une chaire « francophonie » devenue l’Institut international de la francophonie (2IF). 

Jean Claude Mairal : Que retenez-vous de cette fonction de représentant du Président de la République pour la Francophonie? Vous avez été ainsi au coeur de l'appareil d'Etat français; vous avez côtoyé, Ministres, parlementaires et élus locaux de notre pays; vous avez côtoyé le monde artistique, culturel et intellectuel, Partagez-vous l'appréciation d'Yves Bigot Président de la fondation des Alliances françaises dans le Hors-série de l'Eléphant, pour qui "La France est le seul pays qui ne s'intéresse pas à la francophonie"  et qui fait que les français "ne mesurent pas combien la Francophonie et la langue française sont notre force"? 

Christian Philipp : J’ai été fortement déçu par l’exercice des fonctions de Représentant personnel et c’est pourquoi au bout de 18 mois j’ai demandé à reprendre un poste de Recteur. Le Président Sarkozy était je pense convaincu de ce que la francophonie pouvait apporter, mais il n’avait pas le temps de s’investir (crise financière de 2008). La cellule diplomatique de l’Elysée comme le Quai d’Orsay ne manifestaient aucun intérêt pour la Francophonie, exception faite du Bureau des affaires francophones ( on voit bien avec un simple Bureau que la francophonie n’est pas une priorité ! ). Oui la France, et depuis longtemps, ne défend pas notre langue et ne s’intéresse pas à la francophonie, considérées comme des combats du passé. Être moderne c’est pour eux s’intégrer à la langue et à la culture anglo-saxonne. Or oui le français et la francophonie sont une chance pour notre pays, un facteur d’influence à condition de l’inscrire dans le défi de la diversité culturelle et linguistique. 

Jean Claude Mairal : Etre représentant du Président de la République pour la Francophonie, c'est aussi être en contact avec l'OIF et ses Etats membres, que retenez-vous de ces contacts? Un intérêt et un engagement certain pour développer l'espace francophone face à l'environnement anglophone? ou simplement une participation institutionnelle? 

Christian Philipp : Les contacts pendant le temps où j’ai exercé ces fonctions de Représentant personnel m’ont montré combien il y avait une appétence pour le français et la francophonie et pas seulement dans les pays où le français est langue maternelle ou officielle. Une attente…et une frustration devant l’inaction de la France, la disparition des soutiens financiers aux Alliances françaises, Instituts culturels ou lycées français à l’étranger, aux associations engagées pour promouvoir français et francophonie.   L’OIF m’est apparue, même si à cette époque la personnalité d’Abdou Diouf lui donnait lisibilité et crédibilité, un cadre creux. Son faible budget ne lui permettait pas de conduire des actions ambitieuses. La simple participation institutionnelle l’emportait en effet…et rien n’a changé depuis ! Au contraire !   

Jean Claude Mairal : Certains responsables politiques en France et chez nos partenaires africains, doutent de l'intérêt de la Francophonie qui est parfois assimilée à la France Afrique. A contrario ne peut-on pas affirmer que la Francophonie est une chance pour la France et ses partenaires? 

Christian Philipp : Si la francophonie est souvent décriée comme un outil post colonial et suscite le rejet de la jeunesse africaine (il faut bien le constater ) cela tient à ce que notre pays n’a jamais voulu et su défendre une francophonie plurielle et ouverte. Nous soutenons des gouvernements malheureusement souvent corrompus, nous n’avons cessé de diminuer bourses aux étudiants et visas, nous n’avons pas su aider à un vrai développement… Comment dans ces conditions convaincre que la Francophonie serait une chance ? Et si nous Français nous ne croyons pas que la francophonie est une chance, pourquoi d’autres se mobiliseraient pour la promouvoir ?   

Jean Claude Mairal : Le prochain sommet de la Francophonie va se tenir en France. N'est-ce pas là une véritable opportunité pour faire prendre à nos concitoyens et aux élites de notre pays que la Francophonie est un atout considérable pour le rayonnement et le dynamisme de la France? 

Christian Philipp : Le Sommet de 2024 est la dernière opportunité pour enfin ouvrir un débat sur le français et la francophonie. Je souhaite que toutes les ONG, et elles sont heureusement nombreuses, se mobilisent en ce sens. La société civile en France, les sociétés civiles dans bien des pays, sont les derniers défenseurs du français et de la francophonie. Manifestons nous ! Pourquoi ne pas proposer au Président de la République une convention citoyenne sur le français en France et sur la francophonie ? Exigeons la création d’un ministère délégué auprès du Premier Ministre pour mener une politique interministérielle. Engageons une relecture et une actualisation de la loi Toubon de 1994 avec un vrai mécanisme de sanction en cas de non-respect et en nous inspirant de la loi 96 votée l’an dernier au Québec pour défendre l’usage du français dans « la belle province « .   

Jean Claude Mairal : On entend aussi certaines personnes, devant la multiplication des anglicismes et de la pénétration de l'anglais, y compris dans l'administration, indiquer que la langue française serait en danger? Qu'en pensez-vous?

 Christian Philipp : Le français existera toujours. Il restera notre langue maternelle mais si nous ne réagissons pas il ne sera plus la langue de la vie en société. Voyez déjà tous les logos, publicités, émissions utilisant l’anglais pour faire moderne. Constatons le nombre de filières universitaires qui se développent tout en anglais, l’utilisation de l’anglais par nos grandes entreprises et ce même en France et entre Français.   Dans les pays francophones, et partout dans le monde, ce sera la même chose, aggravée par le fait que le manque de professeurs d’écoles parlant français, et pas seulement de professeurs de français, particulièrement en Afrique subsaharienne, est préoccupant

Jean Claude Mairal : On ne peut pas terminer cet entretien, sans parler de votre engagement au sein du réseau international des maisons des francophonies dont vous êtes un des responsables. Parlez-nous de ce réseau et dites-nous ce qu'il apporte à la valorisation de la Francophonie? Et pourquoi parler des francophonies? 

Christian Philipp : Pourquoi le Réseau international des Maisons des francophonies ? Pour mobiliser la société civile qui est le seul ressort dont nous disposons désormais pour défendre le français et la francophonie puisque la France, hormis dans les discours, ne s’investît plus. Parce qu’il y’a une attente de nombreux acteurs societaux et culturels en France et dans le monde qui attendent un sursaut.   Maisons des francophonies avec un « s » pour montrer que nous nous inscrivons dans le combat pour la diversité, que selon le nombre de locuteurs de français dans un pays donné la francophonie sera vécue différemment, chacun à sa manière. Un « s » pour signifier que la francophonie ce n’est pas seulement celle vue de France mais celle que savent préserver et promouvoir ceux qui ailleurs dans le monde, malgré notre indifférence, croient encore au français, à la culture et aux valeurs qu’il porte.