La sécurité européenne à l’heure de Trump et de Poutine. Ariel FRANCAIS

Ariel Français vit entre Vienne (en Autriche), et Merida (au Méxique). Ancien Représentant des Nations Unies et essayiste, Ariel est Docteur en droit et diplômé de l’Institut d’études politiques (Sciences Po, Paris), il a consacré sa vie aux stratégies et politiques de développement, d’abord au Commissariat général du Plan (France) puis au Programme des nations unies pour le développement (Nations Unies), tout en s’intéressant de près à la vie politique, aux mutations sociales, aux transformations économiques, à la montée du terrorisme, à la destruction de notre environnement et aux confrontations internationales. Ariel Français est membre du Think Tank I-Dialogos. / Texte initiallement publié in FOGGS.

https://www.foggs.org/wp-content/uploads/2025/06/ArielFrancaisEuropeanSecurityintheageofTrumpandPutinFOGGSPaperJune2025.pdf.

Plus que jamais la sécurité européenne est devenue, ou plutôt redevenue, une exigence absolue pour l’avenir des peuples d’Europe, y compris pour les peuples russe et ukrainien.  J’avais déjà écrit sur ce sujet, en insistant sur une nouvelle architecture de la sécurité en Europe, mais les récents développements sous la houlette des présidents Trump et Poutine appellent, sinon un nouvel examen, du moins un approfondissement du sujet. 

Pour comprendre les enjeux de l’heure il faut se pencher sur les courants de fond de l’Histoire et non sur le brouillage incessant de l’information qui ne fait qu’aggraver l’intelligence de ces derniers. Par-delà donc les déclarations tonitruantes et les interprétations brouillonnes de l’actualité, j’invite ici les personnes éprises d’ouverture d’esprit et d’impartialité à approfondir les causes du conflit qui afflige l’Europe en ce moment et à rechercher les fondements d’une paix juste et durable. 

L’Ukraine, abcès de fixation d’une confrontation grandissante

Plaçons-nous d’abord du point de vue russe, tant décrié par la presse occidentale. La guerre en Ukraine est avant toute chose pour la Russie une réponse jugée par elle existentielle face à l’expansion continue de l’OTAN à ses frontières (avec l’Ukraine, comme défi majeur, et la Géorgie, potentiellement, dans l’ancien espace soviétique et auparavant russe). Je l’ai amplement analysé dans mon précédant papier intitulé « Pour une nouvelle architecture de la sécurité en Europe » (1) sans qu’il soit nécessaire d’y revenir. La prétendue « dénazification » de l’Ukraine reste quant à elle un écran de fumée sans consistance réelle destiné à justifier l’opération militaire spéciale contre son voisin. L’opération, sur le fond,  devait consister en un coup d’arrêt porté à l’expansion perçue de l’Occident dans l’ancien pré carré russo-soviétique, tant sur le plan militaire que politique, quitte à piétiner la charte des Nations Unies et le droit international. Après tout, vu de Moscou,  les Etats-Unis ne s’étaient pas gênés pour envahir l’Irak une vingtaine d’années auparavant ! Par ailleurs, l’ occidentalisation rampante de la majeure partie de l’Ukraine sur le plan des mœurs et des idées, d’une part, et les aspirations autonomistes d’une partie des populations russophones du Donbass, d’autre part, justifiaient du point de vue de Moscou l’intervention russe dans l’espace ukrainien. 

Pour l’Ukraine, à l’inverse, l’invasion russe a été vécue comme une double agression : agression à l’encontre du désir de la grande majorité de sa population de se rapprocher du monde occidental   (et d’intégrer à cet effet l’Union Européenne) et agression à l’encontre de sa volonté de  défendre un territoire issu de la partition de l’ex-URSS et universellement reconnu comme tel par la communauté internationale (quitte à méconnaitre les aspirations autonomistes d’une partie de sa population russophone).  Pour ce faire, les dirigeants de l’Ukraine partisans d’un rapprochement avec le monde occidental ont demandé à adhérer à l’Union Européenne tout en sollicitant l’intégration du pays dans le dispositif militaire de l’OTAN. Dans la pratique cependant, face aux réticences des occidentaux à accueillir formellement l’Ukraine dans l’OTAN ils n’ont pas hésité à se rapprocher de cette organisation sous le couvert d’une coopération militaire informelle perçue par les dirigeants russes comme un basculement dans l’autre camp. La résistance ukrainienne à l’agression russe s’est avérée exceptionnelle, aidée il est vrai par les pays dits « occidentaux» qui ont mobilisé  à ce jour 267 milliards d’euros pour l’aide militaire, financière et humanitaire à l’Ukraine  (dont  135 milliards  pour l’Union Européenne et ses États membres  et 114 milliards  pour les Etats-Unis ) ni ménagé les sanctions   de toutes sortes, en ordre croissant, à l’encontre de la Russie (sanctions économiques, commerciales, financières et technologiques notamment). Trois ans après le début de cette guerre en plein cœur de l’Europe aucune offensive décisive n’a pu l’emporter de part et d’autre, au prix désastreux d’un millions et demi de morts et de blessés sur les champs de bataille d’après les plus récentes estimations. 

Pour les pays dits « occidentaux » par ailleurs - Etats-Unis d’un côté et pays d’Europe occidentale de l ’autre - l’agression russe a été dénoncée comme une sérieuse atteinte à l’ordre mondial et une grave violation du droit international, non sans arrières pensées cependant de part et d’autre.  Les condamnations de l’invasion russe ont plu de toutes parts dans le monde tout en offrant aux géopoliticiens en herbe l’occasion de se pavaner sur les plateaux de télévision pour diaboliser la Russie. Mais au-delà des plateaux de télévision, les initiatives des uns et des autres, tout comme leurs réticences,  cachent des ambitions et des craintes allant bien plus loin que la guerre en Ukraine. 

Pour les Etats-Unis sous Biden, comme pour les Etats-Unis sous Trump, l’Ukraine n’était et ne reste qu’un pion sur l’échiquier politico-militaire de l’ordre mondial.  Le « pivot » des Etats-Unis vers le Pacifique et l’Asie, entamé sous Obama, poursuivi sous Biden et consolidé désormais par Trump (sous la conduite discrète des grandes fondations et des groupes de pression américains qui cherchent la confrontation avec la Chine à la méconnaissance de la grande majorité du peuple américain) est désormais au cœur de la stratégie diplomatico-militaire de Etats-Unis. Sous Biden - telle est mon interprétation - il s’agissait de mettre à genoux la Russie en Ukraine de façon à pourvoir redéployer l’appareil militaire et le complexe militaro-industriel des Etats-Unis vers l’Asie (et avec un bonus tenu cependant discret : celui d’impliquer si possible l’OTAN et le pays dits « occidentaux » dans un possible affrontement futur avec la Chine). Les objectifs pour Trump n’ont pas changé fondamentalement comme l’explicite, malgré les dénégations du président,  le Project 2025 de la Heritage Foundation, qui orchestre la mise au pas politique de l’administration fédérale à l’intérieur du pays tout en renforçant ses volets sécuritaires et militaires à l’appui du redéploiement diplomatico-militaire des Etats-Unis vers l’Asie. Il ne s’agît plus désormais, pour les Etats-Unis de Trump, de saigner la Russie en Ukraine, mais plutôt de la neutraliser et de l’amadouer en lui offrant - pressions sur l’Ukraine et négociations aidant - une victoire de fait sur le champ de bataille et des perspectives de coopération avec les Etats-Unis qui l’éloigneraient de la tentation de s’allier plus avant avec la Chine.  Rien de définitif cependant, jusqu’ici, car les négociations s’enlisent.  L’offensive de charme de Trump en direction de Poutine risque donc de faire long feu, sans déboucher sur de réelles avancées sur le plan de la paix. 

L’ Europe de l’Ouest face à une menace existentielle

Pour les pays d’Europe de l’Ouest la guerre en Ukraine a été vécue comme un nouveau défi pour la construction européenne et comme une douche froide pour la sécurité du continent. Comme toutes les crises auxquelles la construction européenne a été confrontée dans  le passé la guerre en Ukraine s’est révélée devenir un nouveau défi : nécessité de définir une position commune  face à l’ agression russe en Ukraine ( pays candidat à l’entrée dans l’Union Européenne ), exigence de prendre des mesures de rétorsion à l’égard de la Russie ( les sanctions  et l’aide militaire) et impératif de mettre en  chantier un dispositif  de défense face à la Russie ( la politique commune de défense). Si l’invasion russe de l’Ukraine a été unanimement condamnée en Europe, certains États - comme la Hongrie en particulier - ont exprimé des réserves et des réticences sur le plan des sanctions infligées à la Russie. Ces dernières se sont par ailleurs révélées ambivalentes , pénalisant l’ économie européenne (perte de l’accès au gaz russe, notamment, abondant et bon marché)  et dopant la croissance de la Russie (grâce au développement de l’économie de guerre et aux substitutions d’importations).  Mais c’est surtout sur le plan de la sécurité et ce faisant de la défense que les impératifs se sont faits les plus pressants. L’avènement aux États-Unis d’un régime populiste aux accents autoritaires, voire fascisants, hostile à la construction européenne, décidé à faire passer avant tout les intérêts de la puissance américaine  (America First) et prêt à pactiser avec le diable au prix de la destruction voulue de l’ordre multilatéral, a radicalement bouleversé les paramètres de la sécurité du continent. La sécurité du contient européen ne dépend donc plus désormais de la seule inconnue russe mais aussi, tout autant, de l’inconnue américaine. 

Du côté de la Russie, les griefs à l’égard de l’Europe de l’Ouest et à l’égard des Etats-Unis - par OTAN interposé - sont bien connus. La Russie veut mettre un terme à l’expansion continue de l’OTAN à ses frontières tout en neutralisant l’Ukraine sur le plan militaire (une neutralisation qui vise en outre tout processus qui défierait l’ordre socio-politique interne de la Russie et des pays qui lui sont liés, comme notamment la Biélorussie et la Géorgie, sous différentes formes). Les gains territoriaux ne sont pas, de mon point de vue, des facteurs clé sinon des paramètres de négociation. Aussi, la qualification de la Russie comme puissance « néo-impérialiste », tentée par des conquêtes territoriales, relève de mon point de vue de la pure spéculation politique et de la pure propagande de guerre. En revanche, nul ne sait où commencent et où s’achèvent les frontières socio-culturelles de la Russie et des pays qui lui sont liés dans la tête de son président - Vladimir Poutine. Ni même où s’achève dans l’esprit de Poutine la zone d’influence russe héritée de l’ancien empire des tsars (qui s’étendait historiquement à la Pologne, aux États Baltes, à la Finlande, à la Biélorussie, à l’Ukraine et à la Moldavie). Et c’est bien là que le bât blesse pour la sécurité de l’Europe occidentale. 

Du coté des Etats-Unis la situation n’est guère meilleure. La nouvelle administration américaine sous la houlette du président Trump, de retour au pouvoir, veut se débarrasser de la question ukrainienne et temporiser avec la Russie afin de pouvoir redéployer le dispositif militaire américain vers le théâtre asiatique et de s’assurer d’une relative neutralité de la Russie en cas d’affrontement majeur avec la Chine. Elle veut aussi se débarrasser du fardeau militaire de l’OTAN en obligeant ses alliés européens à le financer (en conservant cependant le contrôle politico-militaire de l’organisation et la faculté de recourir à la menace nucléaire ou à un appui conventionnel, tout en exigeant de ses alliés l’achat de matériels américains). Ce faisant, elle s’immisce grossièrement dans la vie politique de États européens en appuyant les mouvements d’extrême droite et en encourageant un discours populiste et attentatoire aux libertés. Si l’on ajoute à cela le comportement violent, vindicatif et imprévisible de Trump, qui exige concessions sur concessions, tant sur le plan des échanges commerciaux que des dépenses militaires, fustige à travers ses collaborateurs les valeurs de l’Europe, menace de priver les européens du parapluie nucléaire et de l’appui militaire des Etats-Unis, et bien d’autres menaces, force est de reconnaitre que l’Europe, à commencer par l’Union Européenne, ne saurait compter que sur elle-même. 

En raison de ce qui précède l’Europe de l’Ouest fait face aujourd’hui à une « menace existentielle » selon les propres mots du président français  (Emmanuel Macron, mars 2025) qui plaide depuis longtemps pour une autonomie stratégique de l’Europe.  Les dirigeants allemand et polonais – le chancelier Friedrich Merz et le premier ministre Donald Tusk - sont aussi montés au créneau pour renforcer considérablement les effectifs militaires et les armements de leurs pays respectifs. Les pays baltes et les pays nordiques se préparent méthodiquement pour faire face à une éventuelle agression russe. L’Union Européenne a lancé à l’initiative de la présidente de sa commission - Ursula von der Leyen - un plan de 800 milliards d’euros pour le réarmement de l’Europe. Même le Royaume Uni, qui avait lâché les amarres de l’Europe après le Brexit, s’est ravisé récemment sous l’impulsion de son premier ministre - Keir Starmer - pour de se rapprocher du continent, envisageant de concert avec la France la présence de troupes au sol pour sécuriser l’Ukraine. Quant à la France, elle considère désormais pouvoir recourir à sa dissuasion nucléaire pour protéger l’Europe, une dissuasion qui, couplée avec celle du Royaume-Uni, renforcerait sensiblement la capacité de dissuasion de l’Europe face à une hypothétique agression russe. 

Nul doute que des pas décisifs ont été engagés pour la mise en place d’une politique commune de défense, même si des atermoiements et de réticences accompagnent comme toujours le processus de la construction européenne. 

Les conditions d’un retour à la paix

Au stade où nous en sommes, la question se pose de savoir s’il est concevable et possible de ramener la paix en Europe et de bâtir une coopération prometteuse entre toutes les parties présentes sur le continent européen , ce qui suppose de mon point de vue trois conditions : 

  • Qu’un processus de paix viable et durable puisse être engagé et conclu entre la Russie et l’Ukraine ;
  • Que les européens ne dépendent plus des Etats-Unis pour assurer leur propre défense ; et
  • Qu’une coopération reprenne entre la Russie et l’Union Européenne sur des bases saines et durables.

La première condition, la plus urgente, est fondamentale pour ramener la paix et la sécurité en Europe. Plus le conflit se poursuivra, plus les morts et les blessés s’accumuleront et plus les tensions économiques et sociales se développeront de part et d’autre, plus il sera nécessaire d’aboutir tôt ou tard à des compromis (pour l’Europe de l’Ouest sur le long terme , certes, mais aussi et surtout pour la Russie, confrontée à une grave crise démographique et à des pertes humaines difficilement soutenables sur la durée). Mais pour qu’une telle paix voit le jour et soit crédible elle doit nécessairement devenir le fruit de discussions franches et de la volonté sincère des deux parties de conclure sans arrières pensées une paix durable. Cependant, aucun accord viable ne sera concevable si les parties campent sur leurs exigences et refusent de transiger. Toutes deux doivent accepter l’idée de compromis, sans lesquels aucun progrès ne serait envisageable. Quels pourraient donc être, selon moi,  ces compromis ?  

Pour la Russie, de mon point de vue, cela consisterait à reconnaitre à l’Ukraine le droit souverain d’entrer dans l’Union Européenne, sans restrictions d’aucune sorte, y compris sur le plan de sa défense ( accès notamment à la clause de défense mutuelle de l’article 42, alinéa 7, du traité de l’Union Européenne).  Cela consisterait par ailleurs en un engagement formel russe ne plus intervenir en Ukraine, sous quelque forme que ce soit (militaire, politique ou tout autre). Cela consisterait enfin à reconnaitre aux populations du Donbass le droit de décider souverainement de leur propre sort :  appartenance à l’Ukraine pour les uns ou rattachement à la Russie pour les autres, selon les volontés exprimées (sous la forme de référendums, supervisés par l’ONU avec l’appui de l’OSCE,  dans les quatre oblasts du Donbass). A cela s’ajouteraient les réparations dues à l’Ukraine que les alliés occidentaux pourraient exiger de la Russie pour reconstruire les infrastructures détruites et indemniser les victimes de guerre ( garanties par la saisie des avoirs russes gelés à la suite de l’invasion de l’Ukraine).  

En ce qui concerne l’Ukraine, les compromis consisteraient d’abord en une renonciation définitive du pays à entrer dans l’OTAN  (prendre l’engagement d’un statut de neutralité, comme l’Autriche par exemple, sans préjudice cependant de la clause de défense commune du traité de l’Union Européenne). Ils consisteraient par ailleurs en la reconnaissance d’un rattachement définitif de la Crimée à la Russie (non négociable, selon toute probabilité, pour la Russie). Il en serait probablement de même pour la reconnaissance des deux républiques populaires de Donetsk et de Louhansk, rattachées à la Russie (sous réserve cependant d’un référendum de ratification de la part des populations concernées dans les deux républiques autonomes). Ils pourraient enfin consister - plus pour la galerie que sur le fond - en l’engagement pour l’Ukraine d’interdire à l’avenir toute organisation d’extrême droite (un engagement de nature constitutionnelle, comme dans le cas de l’Allemagne).

Les paramètres d’une sécurité collectivePlus largement, les questions qui se posent aujourd’hui à l’échelle de l’Europe occidentale, sont celles de sa sécurité, d’une part, de de son indépendance, de l’autre. La sécurité de l’Europe occidentale est devenue une affaire critique à l’heure où les États-Unis se désengagent du continent sans renoncer pour autant à la vassaliser. Quant à l’indépendance de l’Europe elle restera un vœu pieu tant que les Européens ne s’en seront pas donné les moyens sur le plan non seulement de leur diplomatie mais également de leur propre défense. 

Jusqu’à très récemment (à l’exception de la France sous De Gaulle) les pays de l’Europe occidentale se reposaient presque entièrement sur les Etats-Unis pour leur défense face à l’Est (URSS jusqu’en 1990, puis Russie à nouveau depuis 2022). Le ciment de cette alliance reposait sur le traité de l’Atlantique nord (clause de défense collective de l’article 5 du traité) et sur l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) à laquelle il a donné naissance.  L’OTAN était devenue au fil des ans l’épine dorsale du dispositif de défense de l’Europe, bien que dévoyée de sa finalité à l’issue de la guerre froide (en Yougoslavie et en Afghanistan). En toute rigueur l’OTAN aurait dû disparaitre avec la dissolution du pacte de Varsovie (1991), mais elle a persévéré dans son être, pour renaitre ensuite de sa « mort cérébrale » (Macron, novembre 2019) lors de l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Dans la pratique et jusqu’au retour de Trump au pouvoir,  en janvier dernier, la défense de l’Europe occidentale reposait fondamentalement sur l’OTAN et sur le « parapluie nucléaire » américain. Cela faisait partie du credo allemand, notamment, et plus généralement du credo des pays baltes et de nombreux pays autrefois dits de l’Est (Pologne notamment), particulièrement échaudés par leurs relations passées avec la Russie. 

Si le retour de Donald Trump aux affaires a créé un vent de panique en Europe au cours de ces quatre derniers mois, les pays européens auraient cependant dû prendre conscience des nouveaux dangers bien avant la déliquescence de l’engagement américain sur le continent (pivot des Etats-Unis vers l’Asie, querelle sur financement de l’OTAN, etc.). Le réveil a été brutal pour les pays habitués à se reposer sur les Etats-Unis pour leur défense au gré des déclarations faites par le président  Trump   : doutes avancés  - assortis de menaces - sur l’engagement dissuasif et militaire des États-Unis en Europe, exigence communiquée  aux pays européens de consacrer 5 % de leurs PIB  aux dépenses de défense, chantage et menaces sur la nature et l’étendue de l’engagement américain en Ukraine, rapprochement diplomatique avec la Russie et intentions de régler la guerre en Ukraine sur dos des ukrainiens et des Européens, et autres surprises  quotidiennes au gré des tweets présidentiels  et des communiqués officiels. La guerre commerciale déclarée au monde entier, les prétentions du nouveau président sur Canada, le Groenland ou le Panama, les sermons adressés à l’Europe,  les intimidations en direction de   la Chine, les attaques et les menaces à l’encontre du multilatéralisme dans un monde en proie au dérèglement climatique, aux conflits de toutes sortes et aux crises humanitaires qui ravagent le Sud complètent un panorama des plus inquiétants. Si l’on ajoute à cela le cynisme et la brutalité associés au comportement du nouveau pouvoir américain force est de reconnaître qu’il y a danger dans la demeure. Au total, le mal fait au monde au cours des quatre prochaines années risque d’être si grand qu’il sera impossible de revenir au status quo ex ante ( à supposer même que le trumpisme disparaisse après 2028, pour le plus grand bien de la nation américaine). L’indépendance de l’Europe et son autonomie stratégique s’imposent donc à tous dès à présent, même pour les plus frileux, comme l’illustrent le réarmement de l’Europe occidentale et les mesures prises à l’appui d’une défense commune européenne ces derniers mois. 

Pour aller plus loin cependant dans la direction d’une sécurité collective et d’un retour à la paix il faudrait parallèlement avancer l’agenda d’une nouvelle architecture de la sécurité pour l’Europe tel que l’ai ébauchée dans mon précèdent papier (2). Telle est la troisième condition énoncée plus haut qui suppose la reprise d’un dialogue franc et sincère avec la Russie et, par-delà, le développement d’une coopération réelle et sans arrières pensées avec l’entité euro-asiatique qu’ elle ambitionne légitimement d’animer.  Cela s’avèrera d’autant plus nécessaire pour la Russie que la détermination des Européens de faire face aux menaces qu’elle représente pour eux a peu de chances de faiblir dans l’avenir et que les conséquences humaines et économiques de la guerre en Ukraine ne cesseront de s’aggraver  (avec leur cortège d’ incidences possibles sur l’ordre interne).  Pour cela, aussi, deux autres conditions sont de surcroît nécessaires : une reprise du dialogue entre les pays de l’Europe de l’Ouest et la Russie, d’une part,  et une reprise de la coopération ébauchée dans le passé, mise à mal par la guerre, d’autre part. 

Les prétentions du président Trump de régler seul, d’un coup de  baguette magique, le conflit en Ukraine, qui plus est sur le dos des Européens, ne sauraient rester sans réponses. D’une part parce que l’Europe est partie prenante au conflit à travers l’aide qu’elle apporte à l’Ukraine et les sanctions prises à l’égard de la Russie (qui dépassent sensiblement l’engagement américain),  mais aussi et surtout car il s’agit de l’avenir de la sécurité même du continent européen. En d’autres termes, la question de l’Ukraine et du conflit qu’elle a engendré concerne avant tout l’Europe occidentale et sa sécurité à venir. Pour cette raison même il est impératif que les capitales européennes renouent le dialogue avec Moscou et que les leaders européens arrêtent une position commune face à Poutine, même si ce dernier persiste à faire la sourde oreille à leurs appels. Tôt ou tard la Russie devra se rendre à l’évidence que le engagements pris par les pays européens et par l’Union Européenne en particulier sont sans retour puisqu’il s’agit de leur propre sécurité . Tôt ou tard la Russie devra prendre conscience que rien ne se règlera sans le concours de l’Europe de l’Ouest, ouvrant ainsi la porte au dialogue et à des négociations sur l’avenir du continent. 

Mais par-delà le dialogue et un retour à des rapports moins belliqueux il s’avérera impératif de bâtir une architecture durable de la sécurité européenne sur la base d’un respect mutuel des choix arrêtés par les deux entités en présence : l’Europe occidentale d’un côté - avec l’Union Européenne rejointe si possible par le Royaume Uni - et la Russie de l’autre - avec son cortège de pays proches ou alliés au-delà de l’Oural.  Cela suppose un respect mutuel des systèmes socio-politiques et socio-économiques respectifs, en attendant leur convergence lointaine mais souhaitable. Cela exige par conséquent une non-ingérence réciproque de chaque « camp » dans les affaires intérieures de l’autre, ce qui n’a pas été notoirement le cas ces vingt à trente dernières années. Il sera alors espérons-le possible de bâtir ou plutôt de rebâtir une architecture de la sécurité en Europe, sur la base des orientations déjà énoncées dans les accords d’ Helsinki à l’issue de la Conférence sur sécurité et la coopération en Europe (1973-1975), un processus à tort enfoui ces dernières décennies mais dont les principes restent plus que jamais nécessaires .  

Après tout, le président Poutine n’avait- il pas déclaré en mai 2004 qu’: « Il n’y aura pas d’Europe pacifique, démocratique et prospère s’il n’y a pas entre ces deux grandes composantes, l’Union Européenne qui s’élargit et la Russie avec sa CEI, des relations de confiance, des relations de co-développement sur le moyen et long terme. C’est évidemment une nécessité. On ne va pas retomber dans ce que nous avons connu, c’est à dire la division de notre continent et la guerre froide.”(Vladimir Poutine, 6eme sommet Russie-UE). Espérons que ces sages propos n’aient pas entièrement disparu de sa mémoire, ou qu’ils soient plus tard repris par ses successeurs, car il serait lamentable que l’Europe reste divisée et meurtrie par la guerre comme elle l’est devenue dernièrement. 

De l’impérative nécessité de reprendre  le dialogue

La reprise du dialogue et le retour à la coopération entre ces deux parties du continent sont des impératifs primordiaux pour que l’Europe toute entière ne soit pas de nouveau embrasée par  un  conflit funeste et puisse  se tourner délibérément et généreusement vers le reste  du monde . Vers le  Sud, en particulier, qui en a gravement besoin pour faire face au déreglement climatique, à la misère et aux conflits locaux et au desespoir de populations abandonnées à leur sort dans un monde qui souffre de deséquilibres mortifères qui pourraient le conduire à sa perte. 

Ariel Français

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