Rencontre avec Wilfried N'SONDE

Né en 1968 à Brazzaville, Wilfried N’Sondé a grandi en Île-de-France et vécu vingt-cinq ans à Berlin. Il habite désormais à Lyon. Il est l'auteur de six romans chez Acte Sud , notamment Le Cœur des enfants léopards (2007, prix des Cinq Continents de la francophonie et prix Senghor de la création littéraire), Un océan, deux mers, trois continents (2018), qui a reçu une dizaine de prix littéraires, parmi lesquels le prix Ahmadou Kourouma, le prix France Bleu / Page des libraires et le prix des lecteurs de L'Express / BFMTV et Femme du ciel et des tempêtes (2021).Wilfried N’Sondé explore, dans ses récits, des aventures historiques, l’expérience de l’exil et de l’altérité et, plus récemment, notre rapport au monde vivant. Il a notamment signé les textes de l’ouvrage photographique Borders de Jean-Michel André (Actes Sud, 2020), exposé aux Rencontres d’Arles 2021. 

Propos recueillis par Jean-Claude Mairal

Jean Claude Mairal: Wilfried N'Sondé vous êtes né à Brazzaville en République du Congo, vous avez grandi en Ile de France, vous avez vécu à Berlin et vous vivez désormais à Lyon. Votre parcours de vie vous permet ainsi par ces différents ancrages culturels de nourrir vos romans et d'être ouvert à la fois sur la réalité du Monde d'aujourd'hui dans toutes ses contradictions, tout en intégrant le passé et l'espace-temps qui nourrissent et le lient au présent. Par une telle approche que voulez-vous démontrer ? 

Wilfried N'Sondé : En littérature pour moi, il ne s’agit pas de démontrer mais avant tout d’émouvoir. Je pense être un amoureux de l’humain et du cadre de vie qui lui permet d’exister, malgré les drames, les désastres et l’horreur que l’on peut-y côtoyer. J’ai énormément voyagé ces dernières années et me suis découvert une réelle fascination pour tout ce qui rassemble les êtres humains, leurs points communs, leur capacité à engendrer des interactions riches et fécondes. Alors que l’on insiste trop souvent à mon goût sur les différences, dans mes écrits j’ai envie de célébrer ce qui nous permet de nous réunir et de coopérer de manière pacifique. La forme romanesque me semble un excellent vecteur pour cela, tant elle arrive à la fois à communiquer des informations et à séduire, à toucher tout simplement. 

Jean Claude Mairal: Dans le même ordre d'idée, vous approfondissez dans vos romans le rapport de l'Humain au monde vivant en montrant comme un biologiste, l'harmonie du vivant et de l'Humain. C'est certainement ces approches qui ont amené les scientifiques de la goélette Tara à vous inviter à participer à une de leur expédition et qui a donné le roman "Heliosphéra fille des Abysses, d'amour et de plancton". Là aussi, à partir de l'infiniment petit, vous menez dans un récit romanesque, une réflexion philosophique. 

Wilfried N'Sondé : L’infiniment petit, que l’on a longtemps pensé rudimentaire ou primitif, se révèle d’une complexité extraordinaire. Pour exister, les êtres unicellulaires doivent être en mesure d’assurer toutes les fonctions nécessaires à leur survie, contrairement à celles, très spécialisées, qui s’assemblent pour composer des entités multicellulaires. Les dynamiques des organismes à l’origine de la vie sur terre sont à mon sens autant d’enseignements sur les mécanismes de survie sur notre planète, un vivier de réflexions inspirantes à prendre en compte afin d’éviter la catastrophe environnementale qui pourrait être fatale à l’humanité. Après avoir étudié le plancton avec les scientifiques pendant cinq semaines, j’ai eu à cœur d’écrire un roman dans lequel j’entends partager mon émerveillement pour ses habitants des océans, mais aussi mon respect pour leur capacité à mettre souvent en place des stratégies de coopération pacifiques pour exister. Cela est étrange, mais je tenais aussi à les remercier de nous fournir ces éléments vivifiants qui, si nous les prenons en compte, nous aideront à élaborer de nouveaux modèles de pensée pour demain. 

Jean Claude Mairal: Lors du débat à Vichy, vous avez rebondi sur une intervention concernant la traite négrière transatlantique, en indiquant que la question était plus complexe que la seule mise en cause des européens. Vous avez même indiqué qu'un de vos ancêtres du Congo avait participé à alimenter la traite. Dans votre roman "Un océan, deux mers et trois continents" vous faite la démonstration de cette complexité en montrant la réalité et les protagonistes du trafic d'êtres humains, en les insérant dans les conditions historiques et de pouvoir de l'époque. Vous n'êtes pas dans la vision souvent binaire développée depuis des années. En ce sens comme je vous l'avais souligné à Vichy, vous insérer votre roman dans l'approche de la pensée complexe d'Edgar Morin. En fait, certes vous êtes écrivains, mais n'êtes-vous pas également un Philosophe dont le terrain de jeux, serait le roman? 

Wilfried N'Sondé La littérature, comme la philosophie sont affaire de mots, c’est pour cela que je pense qu’il est préférable de parler de traite transatlantique (plutôt que négrière). Proudhon disait que si l’on voulait en finir avec la guerre, encore faudrait-il la comprendre ; alors si l’on veut en finir avec l’esclavage, encore faut-il le comprendre. L’esclavage transatlantique a duré plus de quatre siècles, il est plus pertinent de parler de ce drame au pluriel pour lui rendre sa complexité, distinguer des phases pour constater, par exemple, que cette tragédie ne s’est pas toujours centrée sur la couleur de peau. Pour répondre plus directement à votre question, je crois que la philosophie est partout, elle interroge a priori et distille ses conclusions dans toutes mes pensées et mes gestes. Pour autant je n’en suis pas un spécialiste, alors je ne me permettrais pas de me définir comme Philosophe. Cela me préserve d’ailleurs du risque de m’attirer les foudres de ceux qui, à juste titre, se revendiquent comme tel. 

Jean Claude Mairal: Pour conclure. En 2024, le sommet de la Francophonie aura lieu en France à Villers-Cotterêts. Ces sommets sont des sommets institutionnels, sans grandes répercussions dans notre pays, mais à I-Dialogos, nous nous posons la question de savoir comment faire de cet événement, un événement citoyen et mobilisateur de tous les acteurs (collectivités, associations, médias, manifestations culturelles, écrivains, cinéastes, artistes, etc) de France et d'ailleurs, pour une prise de conscience de l'apport des francophonies dans le développement et le rayonnement des pays. Vous qui êtes le produit et le creuset de plusieurs cultures, africaines, françaises et européennes, nous serions heureux d'avoir votre sentiment et votre approche sur cette question de la Francophonie, trop souvent perçue en Afrique comme un relent de la France-Afrique. 

Wilfried N'Sondé : Je pense qu’il est nécessaire de bien distinguer la Francophonie politique, du français, une langue, un moyen de communication partagé par des femmes et des hommes sur les cinq continents. Le concept même de sommet a quelque chose de rebutant, on imagine déjà du protocole, des vestes sombres, des cravates et des amalgames en gestation… Rassembler les artistes, les associations et toutes sortes d’acteurs culturelles me semble par contre heureux, nécessaire, très belle idée, mais de grâce, loin des considérations politiques. Celles-ci elles nuisent à la démocratisation de cette langue qui permet aux simples citoyens que nous sommes d’exprimer nos humeurs, nos sentiments, nos rêves, d’échanger des idées, de vivre ensemble en utilisant un outil commun qui permet de nous comprendre. À force de vouloir faire du français quelque chose qui serait plus qu’une langue, elle finit par irriter, déranger, et prend le risque de devenir infréquentable…

Photo Odile Motelot